Book de KaliCréations : Joshua Alexander Starr :: Le valet de Cœur : Amours cannibales
Mes yeux s'ouvrent paisiblement sur une chambre qui m'est inconnue. Les fins voilages roses et la faible lumière qui entre par l'ouverture tenant lieux de fenêtre donnent à la pièce un air paisible et sucré. Une lampe fantaisie, un fauteuil au capitonnage clair et des images romantiques placardées le long des murs. Les draps qui glissent sur de ma peau nue comme une mue agréable. Elle les a changés pour moi hier soir. J'aime cette chambre où tout respire les rêves passés et surannés d'une jeune femme restée adolescente trop longtemps. J'aime aussi cette habitude qu'elles ont de faire un lit frai à cette occasion, comme si en changeant leur draps elles changeaient de lit, de vie. C'est un sorte d'honneur, un cadeau qu'elles me font parfois, un tout petit geste qui vient compléter leur accueil chaleureux dans le mystérieux territoire qu'elle dissimulent dans le secret de leurs étoffes. La douceur et la chaleur des couleurs de cette pièce étreint mon cœur avec tendresse. C'est doux. C'est bon. Au plafond, le néon simple a été habillé afin que la lumière acre et artificielle se déguise en une teinte suave et délicate. Il ne manque qu'un charmant bouquet pour qu'un parfum floral comble cette pièce d'effluves légère.     
 
Je sens sa respiration calme et bienheureuse entre mes bras. Son corps frêle est nu contre ma peau. Elle frémis alors que je suis du bout du doigts ses courbes fines... Ses petits doigts blancs se serrent autour des miens, blottie dans mes serres autour de sa taille comme si j'avais toujours été là. J'enfonce mon visage dans ses longs cheveux bruns et je respire son odeur comme une drogue de luxe. Je profite de cet instant que j'adore. Celui où elles s'éveillent à peine, où, encore égarées dans leurs songes, tout leur corps est abandon. Sans réserves. Elle est douce. Elle sent bon et la chair de poule qui coure sur la soie de sa peau est comme une liqueur dont je m'abreuve. J’étais un peu pressé hier soir, un peu avide, et j'ai peut-être -sûrement- manqué de courtoisie. Ce que je leur prend n'a pas de prix. Killian dit qu'elle me traitent comme de la viande, qu'elles usent de mon corps, qu'elles m'utilisent... Mais a t-elle idée de ce que je leur prend, de ce que je leur vole ? De la vie qui leur est arrachée ? Je leur dérobe leur essence, je me noie dans leurs rêves, je respire leurs fantasmes car mes propres songes ne me suffisent plus depuis longtemps. C'est un peu comme si je buvais jusqu'à plus soif le moindre de leur soupir sous mes doigts. Je régénère. Je me repais de leur chair en échange de la garantie qu'elle seront aimées avec une passion sincère et totale pour un instant. Leur contenu en échange d'un fantasme accompli. Elles me consomment, je les consume... Je suis un vampire. Je me change à la tombée de la nuit pour boire leur vitae jusqu'à ce que mon âme se remplisse enfin et jusqu'à combler l'abysse qui me hante. Jusqu'à ce qu'elles soient vides. Toujours, j'évite de tourner mon regard vers Killian qui s'en va. Je sais que la dernière chose qu'elle voit avant de tourner les talons, les soirs comme hier soir, c’est mon âme qui quitte mon corps et ne laisse de place que pour cette avidité morbide. Penser à elle rend le corps frais et encore plein d'essence vitale à côté de moi semblable à une carcasse putride et couverte de vers, froid et séché depuis longtemps.    

    
Non, ne pas penser à elle maintenant. Pas à ce moment où je croise son regard, sinon le mensonge est brisé. L'hypnose serait rompue... Sinon je n'y crois plus. Elle m'affame... Il m'en faut plus.    
 
Je passe ma main dans les cheveux de la jeune femme qui gît à côté de moi. Je respire sa nuque anticipant le goût de sa chair à laquelle j'ai déjà goutté déjà plusieurs fois durant la nuit. J'ai oublié son prénom ; je ne suis pas certain de le lui avoir demandé. La drogue m'avait embrumé. « Bonjour chérie ». Habile manière d'être tendre alors que même sa simple identité m'échappe et qu'elle ira se noyer dès demain dans le charnier de corps livides et arides que je laisse dans mon sillage... « Bonjour Alex. » J’entends le sourire dans sa voix émergente, triomphe d'avoir conservé sa proie jusqu'au matin ; mais je déteste le nom qu'elle me donne. J'ai horreur que l'on m'appelle Alex. Encore un pieu dans mon cœur. Je déteste Alexander... Assez. Je ne veux pas la connaître plus qu'il ne m'est nécessaire. Je ne veux pas savoir quelle personne elle est. Je ne veux pas comprendre ses rêves et ses aspirations. J'entends sa respiration s'intensifier, sa bouche s'ouvrir et je prédis déjà qu'elle engagera une conversation insipide et commune que je connais trop bien. Je ne veux pas qu'elle me parle. Je resserre la pression de mes bras autour de sa taille et de ses hanches. Elle peut sentir mon souffle chaud dans sa nuque alors que je respire sa peau, affamé. Elle gémit. Mes lèvres se font humides alors que j'embrasse son cou à travers ses mèches sombres. Elle tremble et colle son dos le long de mon corps comme un serpent qui cherche la chaleur. Je passe ma jambe par dessus les siennes resserrant encore plus cette étreinte mortelle. Je la dévore déjà avec gourmandise. J'enroule mon bras passé sous elle autour de ses hanches comme un serpent constricteur. De l'autre je caresse sa gorge pleine de vie, doucement, je sens ses veines pulser déjà d'excitation, et je coule jusqu'à ses tétons du bout des doigts. Elle est fine et petite et ses galbes ronds et gracieux. Je mordille le lobe de son oreille et elle frémis en ronronnant alors que je m'enroule autour d'elle, recouvrant presque tout son corps mince et fluet. Les doigts de ma main droite caressent son échine et courent jusqu'à son nombril. Je sens sa peau vibrer sous mon contact : premier spasme... Elle passe sa main dans mes cheveux et empoigne un mèche généreuse. Ainsi agrippée, elle soupire en passant son autre main sur la mienne qui continue de dévaler la cascade de son ventre mince. Encore une bouffée de ses longs cheveux brun et ma main se glisse plus profondément. Elle me tire les cheveux. Elle arc-boute tout son corps entre les muscles bandés de mes membres pressant tout en elle. Je glisse avec elle lentement et je fouille son âme jusqu'à ce qu'elle m’entraîne en enfer...    

    
J'ai faim. L'activité physique et la poudre font sentir leurs effets secondaires... Je me sens courbaturé mais ça va. Je n'ai pas envie de partager avec elle un petit déjeuner « en amoureux ». Elle me ferait du café en m'appelant « chéri » et j'y tremperais un gâteau sec jusqu'à ce que le fond de ma tasse se transforme en mélasse infecte à m'en filer la nausée... Assis sur le bord du lit, je glisse mon pantalon dans mes bottes. Je jette un œil à la cuisine où elle s’affaire espérant susurrement que ça me retiendra. Elle porte une sorte de peignoir rose, assez fin. Soie synthétique. Elle a du payer ça une fortune ici... Il flotte au moindre mouvement, libre sur ses formes graciles et légères. Ses longs cheveux noirs descendent sur ses reins comme des gouttes de café chaud. Je me lève et j'enfile ma chemise. Je me sens ivre... Elle me semble moins vivante qu'hier. Elle ne me plaît plus. Je regarde l'heure. Il est tôt. Je m'inspecte rapidement dans le miroir et arrange mes cheveux d'un geste mécanique. C'est l'heure de dire au revoir. Je n'aime pas ça. Parfois elles s'en fichent, parfois elles se vexent, souvent ça les blessent. Même si elles ne se sont pas fait d'illusion, je vois dans leur yeux l'éclat sordide de l'abandon. Je tousse un peu pour m’éclaircir la voix et inspire profondément « Ne salis pas de tasse pour moi, j'y vais. » J’entends son geste se suspendre derrière moi et un bruit de verre brisé à l'intérieur de mon âme. Un silence s'étire au dessus de nous comme un long serpent et je la sent glisser dans mon dos en silence. « C'était juste pour cette nuit pas vrai... » Son ton est juge, déçu et plein de reproches... Je laisse tomber ces foutus boutons et je soupire. Je passe ma main dans mes cheveux, il va bien falloir affronter ma victime. Je me retourne, un peu désolé un peu cruel :    
« - Allons trésor, fais-je d'une voix aussi douce que possible, tu le savais bien. Je dois remonter à bord de mon vaisseau, je repars dans la journée.    
- Et tu ne reviendras sans doute jamais, n'est-ce pas... »    
Je la regarde, je ne réponds rien. Elle me fixe avec ses grands yeux bleus d'un air à la fois accusateur et désabusé, son fin vêtement liquide le long de sa peau claire. Elle a cet air boudeur qui me charme à coup sûr et ce genre un peu distant et hautain, plein de dignité de la femme qui se sens froissée par le goujat qui lui a volé sa vertu... Elle frappe son front avec la paume de sa main en fermant les yeux. « Quelle imbécile je fais ! Évidemment que c'était du flan... » Elle fronce les sourcils et me lance des yeux comme des poignards. J'ai mal au cœur. « Tu es doué espèce de salaud ! J'y ai presque cru ! Est-ce que tu sais au moins comment je m’appelle ? » Elle croise les bras, autoritaire. Je baisse les yeux comme un gosse coupable, j'y peux rien. Je passe la main dans mes cheveux et je rabats une mèche en arrière. Je m'approche d'elle et je la prends par les épaules, tendrement. « Écoute, ne le prend pas comme ça. »Je lui caresse la joue et je souris de ses airs de dame offusquée. Elle me rend un regard torve et ironique qui sous entend une question évidente bien qu'un peu provocatrice. Je remets tendrement une de ses mèches corbeau derrière son oreille gauche.    
« Nous avons passé ensemble un moment merveilleux, et même si je m'en vais -je mens évidemment- tu resteras toujours une femme exceptionnelle. Ne froisse pas un aussi charmant visage par cette vilaine mine triste -je l'embrasse sur le front-, tu es spéciale et tu sauras trouver quelqu'un qui te vas comme un gant, quelqu'un d'exceptionnel comme toi. Moi je ne suis qu'un marchant de rêve de passage... Elle soupire, cherchant un mensonge dans mes mots qu'elle est incapable de déceler. Elle veut trop y croire et j'ai trop l'habitude.     
- Tu m'as dis « je t'aime », tu es un menteur... Elle détourne ses yeux des miens, désarmée, et je sens la liqueur monter dans ses grandes perles bleus. Un peu triste, un peu vexée, très seule. Une chaleur brûlante envahis ma poitrine et mon cœur se serre. Je la tiens contre moi. J'ai l'impression d'être mort, glacé...    
- Non trésor, je n'ai pas menti. Je t'ai aimé pour de vrai. Ce qu'on a partagé était réel et nous en auront le souvenir pour toujours, tu le sais tout au fond de toi -je mens encore...-. Ne pleure pas ma belle. Et puis, je t'écrirai !  -mensonges toujours...- »    
Je soulève son menton et je lui donne un baiser. Elle, elle m'embrasse comme si j'étais son seul grand amour, avec l'énergie du désespoir, et jette ses jambes autour de ma taille, toujours nue sous la soie rose et fraîche.     
Son corps à nouveau contre le mien, à travers les étoffes, ses mains glissées dans ma chemise ouverte me réchauffent. Malgré ce que je lui inflige elle accepte encore une fois de m'insuffler la vie qui est en elle... Ses geste, ses rondeurs et le flot de son intimité me supplient de la piller encore, charmée par l'hypnotisme de mes ténèbres. Cette fois c’est plus destructeur, bu, avalé, consommé jusqu'à la lie. Je la déteste pour toute cette puissance qu'elle a en elle, qu'elles ont toutes... Je la haie de m'accorder son pardon ! Je suis brutal... Elle soupire, elle suffoque, elle me griffe. Finalement la flamme s’éteint rapidement après avoir brûlé comme un bûcher et mon monstre s'échappe dans le cri fulgurant et simultané de nos deux âmes dévorées. Je découvre son corps qui était englouti sous le mien et je la laisse plonger lentement dans le repos après cette nuit cannibale. En remontant ma braguette je la contemple, belle endormie après tant de passion, comme si j'avais laissé là un cadavre exsangue. Je reboutonne ma chemise, arrange mes cheveux, j'attrape ma basse et je quitte cet appartement aussi coupable que si j'y avais perpétré le plus abominable des crimes de sang.    

    
Je remonte le quai à pas traînants vers le Betty, je perds mes pensées, je fredonne cette chanson... Quand j'aperçois Killian qui supervise le dernier chargement devant Betty, je lui lance un grand sourire, un peu moqueur, un peu charmeur. Elle secoue la tête faussement dépitée, elle me connaît par cœur... Je hausse les épaules et les sourcils comme un gamin fier de sa bêtise -là aussi je mens...- et je la rejoins à l’appontage. Il fait un temps magnifique et Betty brille au soleil, elle a belle allure, je suis fier. Je lève les yeux vers Killian qui me scrute en silence. C'est elle que j'embrasse, c'est elle auprès de qui je me réveille, c'est à elle que je fais l'amour... Je monte avec elle dans la cale de chargement. « Alors ? On en est où ? ». Je lui parle du chargement bien entendu, mais le double sens ne lui échappe pas, elle me connaît par cœur. Elle fait semblant d'ignorer ce que j'ai voulu insinuer et joue les rustaudes pour noyer la vérité.     
« - Et bien pour tout te dire Josh, Otto est en train de signer les registres de départ au poste de douane et de régler la taxe. Je crois qu'il a trouvé une magouille encore cette fois, on a réussi à tirer pas mal d'économies. Enfin, tu lui demanderas, il t'expliquera ses calculs, moi je pige rien et il me soûle avec ses stat'...    
- Sacré Otto... Je verrai ça avec lui. » Je jette un œil à la fiche de changement rapidement. Je connais les classifications d'Otto, je sais quelles caisses contiennent le chargement légal, et lesquelles sont consacrées au commerce froid. Je me retourne pour poser une question à Killian mais, maladresse, je trébuche sur un des câbles du treuil. Mon visage se retrouve à quelques centimètres de celui de Kill qui est juste derrière moi. Le temps s’arrête. Son parfum subtile et musqué excite mes sens, et mes mains savent par cœur la carte de son corps... Ses yeux se plantent dans les miens et notre fébrilité mutuelle est si palpable qu'on pourrait voir les arcs électriques qui nous parcourent. Je suis vide, elle est affamée. Ma main se pose sur son flanc et entame une descente lente et sensuelle vers les courbes de ses hanches. J'ai en mémoire le goût de ses lèvres et la gourmandise de sa bouche. Je sens doucement son souffle et le mien se confondre alors que tout en moi se brise et que mon âme se change en cendre, traversée par son épieu d'argent. Au creux de mon ventre la brûlure de l'eau bénite monte alors que nous tremblons presque...    

    
« Appareillez ! J'ai la pièce ! Appareillez vite ! » Travis hurle en courant comme s'il était poursuivit par le diable lui même, une chose volumineuse dissimulée dans ses vêtements ! Otto a déjà embarqué, je ne l'ai même pas vu. Je ne sais pas ce que ce foutu Technaugure a encore fichu mais en tout cas, même s'il en le sais pas, il vient de nous délivrer elle et moi de cette nouvelle apocalypse au goût de sang ! D'un cannibalisme à chaque fois mortel... Tout le monde s'agite et se prépare au décollage d'urgence. Tous en manœuvre. Tous à nos postes. Tous près. Et l'instant envolé, oublié...