Book de KaliCréations : Joshua Alexander Starr :: Le valet de Cœur : Destins Croisés (Part4)

Destins Croisés (Part4)

Il est complètement raide. C'est la première fois qu'il est aussi défoncé. Il tourne comme une bête en cage. Impossible de tenir en place, il réfléchit à cent à l'heure, à mile trucs à la fois. Il est surexcité. Enfermé dans sa chambre il traverse la pièce de long en large plongé dans ses pensées. Les diagonales s’obliquent, les couleurs se surexposent. Killian a annoncé qu’elle partait... Elle et Alyster s'engagent dans la Garde Impériale. Qu'est-ce-qu'il peut être con celui-là !Alors comme ça, la détourner ne lui a pas suffit, il faut en plus qu'il l'enlève pour l'envoyer à la mort. Il frappe dans son armoire à grands coups de poings, la hargne dans les membres. Ses veines brûles d'un feu acide. Il renifle. Foutu crétin de héros, mais qu'est-ce qu'il lui prend ? Il marmonne nerveusement en se prenant la tête entre les mains et en s'agrippant les cheveux. Il grince des dents. Et elle, qu'est-ce qui lui passe par la tête pour aller faire une connerie pareille ? « On part dans une semaine... » N'importe-quoi ! Il se frotte le nez. Merde, du sang. Il file un grand coup de latte dans le pied du lit ! Il traverse le petit couloir à pas fébriles vers la salle d'eau où il s'enferme. Sa mère lui demande quelque chose. Il s'en fout, il n'entend pas. Ses mains tremblent et il a l'impression d'avoir les muscles en feu. Il se retrouve face au miroir. Le jeune homme est blême, il a les lèvres bleus et les yeux rouges. Il se passe de l'eau sur le visage et rince le filet de sang qui dessine un sillon écarlate jusqu'à sa bouche. L'eau se tinte de cramoisie avant que la couleur de l'hémoglobine ne se dilue puis s’évacue. Ses pupilles sont largement dilatées et le contour de ses yeux rougis donnent un contraste effrayant avec son teint blafard. Avec ses cheveux clairs il ressemble à une foutue créature de la Foule Livide, tout droit sortie de son cloaque infernal. Il a la sensation que l'image se déforme et gondole. Les murs gris de la salle de bain semblent couler jusque sur le sol avant de se dérouler dans l'autre sens, puis de couler de nouveau... Il entend un claquement de porte, ou peut-être un coup de feu, ou peut-être rien. Il lui semble qu'il peut sentir toute la station autour de lui juste en posant une mains contre le mur. Ses sens sont décuplés. A moins qu'il n'ait encore une hallucination. Quel jour sommes-nous ? Il ne sait même plus. Il déconne complètement depuis qu'elle s'est tirée avec cet ahuri. Il perd même la mémoire, à moins que se soit le manque de sommeil et la came. Comme l’événement de la semaine dernière -ou était-ce hier ? Avant-hier ? Le mois dernier ?- près des docks de chargement. Merde, il avait jamais abattu un gars. Lui qui évite la violence, lui qui se jure de ne faire que se défendre uniquement si c’est nécessaire, il a abattu un type. Bien sur il était complètement raide mais il s'en souvient... Il se scrute dans le miroir sans arriver à se retrouver. Il revoit l'expression du type avec la moitié du visage arraché par la munition explosive. Il a tiré depuis le sol alors que le mec allait le butter. Quand on commence l'escalade ça finit toujours mal. Ils se sont battus et le gars a sorti son flingue. Josh ne se rappelle plus trop comment, mais il s'est retrouvé avec l'arme dans les mains : c'était le gars ou lui. La balle est entrée juste au dessous de son nez, un peu à droite au dessus des dents. Tout a éclaté à l’impact. Elle est ressortie par l'arrière en éclatant la boite crânienne comme un œuf pourrit dans ce son atroce... Il ne se rappelle même plus ce qu'il était venu foutre là. C'était un putain de piège c'est sûr et certain. Il sait qu'il est suivit, traqué. Si ça se trouve, c'est peut-être Al qui veut le butter. Oui c'est évident c'est Al, c’est toujours Al... Ses mains tremblent. Joshua sent venir une sale descente, ça va être moche... Il se masse les tempes puis les yeux avant de suivre hagard les cernes violettes qui bordent ses paupières. Il a mal aux dents, ses poumons l'irritent et on dirait que chacune de ses articulations se désagrège pour se changer en poudre, son estomac se tord... Depuis combien de temps n'a t-il pas bu ou manger ? Depuis combien de temps n'a t-il pas dormi ? Suffisamment longtemps pour avoir été gagné par la psychose paranoïaque et pour que son corps oublie la fin, la soif et la douleur... Ça ne s’arrête pas saigner. Il fixe les gouttes qui s'égrainent en chronomètre au fond du baquet en aluminium de la salle bain. Chaque décompte résonne dans tous ses os et plonge inexorablement dans l'étroit goulot du siphon. Du sang... Il se revoit rinçant désespérément ses mains pour faire partir le sang. Ça non plus ce n’est plus très clair. C'était quand ? Bon sang, il n'aurait jamais imaginé que ça faisait cet effet là de poignarder un type. Il ne sait plus pourquoi -pour de la came sûrement-, ni ce qui lui a pris de lui planter la lame dans la gorge. Comment un seul corps peut-il contenir autant de sang ? Il fixe son propre fluide qui a l'air de s'agiter comme une créature reptilienne au fond de la cuvette d'argent. Il s'hypnotise. Il examine les gouttes jusqu'à y voir complètement flou. L'anneau à son annulaire lui lance une décharge lumineuse dans les yeux. Il se sent aveugle ! Il a sacrément déconné ces derniers temps. Elle n'est plus là. Le pire dans tout ça ce n'est pas qu'elle en ait choisi un autre, c'est que cet enfoiré se vente et chante sur tous les toits qu'il l'a « gagnée ». Gagnée... Killian n’est pas à vendre espèce de salope que tu es Al ! Cet enfoiré à juste profité d'un sale concours de circonstances pour la voler. Finalement est-ce que tout ce qu'il se passe n'est pas de sa faute à lui ? Il regarde son reflet avec l'impression de se voir enfermé dans un kaléidoscope. S'il n'était jamais entré dans leur vie ça se passerait autrement. S'il n'avait jamais fait son apparition sur cette station Killian serait encore à lui. Finalement n'a t-il pas ourdit cela depuis le départ ? N'a t-il pas toujours été déplacé ? Oui, c’est une certitude, tout ceci n'est qu'un abominable complot pour détruire sa vie. Avant lui tout était tracé. Al est arrivé et le ver dans le fruit avec lui. Joshua sait que son rival a semé la graine du doute et de la rancœur, il a divisé pour régner sans y parvenir. Ainsi il s'est vengé en lui enlevant ce qu'il avait de plus précieux. L'adolescent a les doigts crispés sur le bord du lavabo à s'en faire blanchir les articulations... Il sait que sans elle il dérivera à jamais. Puisque qu'il n'y a qu'un seul problème, il suffit de l'éliminer de l'équation. Ça ne saigne plus. Josh se passe de nouveau de l'eau sur le visage, d'une façon mécanique, comme s'il était déjà absent de son propre corps... Il sort de la sale de bain et retourne à pas lents vers sa chambre. Il referme derrière lui, le regard vide. Il y a dans ses yeux à la fois morts et trop mobiles une forme d'absolue détermination. Il tire la chaise de son bureau et il enlève son t-shirt. Il sort de sa poche un petit sachet remplit de poudre blanche irisée de reflets bleus. Il sort de la poche arrière droite de son pantalon une photo pliée en quatre. Il la déplie et la pose à côté du sachet d'Opale. Sur cette photo, ils sont tous les trois : Josh, Al, et Kill. Déjà, Al marque son territoire sur l'image de papier glacée qui sert désormais à Joshua de mémoire. Le propriétaire de la photo s'en tape, il ne regarde qu'elle. Toujours comme s'il était télécommandé s'assoit en face du petit autel qu'il vient de consacrer. Il pose la main sur le tiroir de droite et après quelques secondes suspendues il se décide à l'ouvrir. Il en sort un revolver de gros calibre, celui qu'il a récupéré sur le type abattu quelques temps auparavant. Il le pose aussi sur le bureau, avec le reste. La chambre est sombre, le néon est cassé. Il vérifie le barillet, il est plein. Il prend le miroir de poche qui trône sur la table du bureau également et se prépare une dose de plus. Il ne doit pas trembler... Le rail lui brûle les sinus, il serre les dents et gémit imperceptiblement. C'est son dernier. Je jeune homme se redresse et penche la tête en arrière en plissant les yeux espérant que ça passe mieux. Ça fait mal. Il ne sent plus la différence de toute manière. Joshua fixe ses mains qui cessent peu à peu de trembler, il se sent vivant, euphorique. Tout va bien, tout va mieux maintenant. A l'instant même où sa main devient plus sûre il prend le revolver. La bouche d'argent du canon vient se placer contre son cœur, c'est froid. Il glisse son pouce près de la gâchette, il arme le chien de l'index. Il ferme les yeux, doucement serrant dans l'autre main la photographie, éclat de rêve. Il plonge dans ses yeux, il la revoit à chaque instant : leur premier baiser, la première fois qu'ils ont fait l'amour, quand elle lui dit « oui » et quand elle lui annonce qu'elle part avec lui... Il intensifie doucement la pression de son pouce sur la queue de détente. Al, source de tous les maux. Maintenant c’est terminé, qu'il aille en paix...  
  
Non... Josh ouvre les paupières et fixe le mur blême en face de lui, ses yeux de mort changés en source de rage. Hors de question que ce démon s'en tire. Oui, Al, source de tous les maux. Bien sûr c'est évident, dans l'équation Joshua se dit qu'il est en train d'éliminer la mauvaise variable. Doucement il décolle de son thorax le canon de l'arme qui laisse un petit cercle blanc là où elle avait mordu. Lentement il désarme le chien. Il remet son vêtement. Il rit comme un dément ! Il se lève et se dirige vers son placard métallique qui contient ses fringues. Il passe une veste de cuir épais et glisse le flingue dans sa ceinture. Il déverrouille la porte de sa chambre. Il n'oublie pas la photo sur son bureau qui vient reprendre sa place dans sa poche. Le jeune homme descend au rez-de chaussée d'un pas pressé, il traverse la pièce à grande enjambées avant d'être intercepté par sa mère. « Joshua Alexander Starr ! » Il se fige sur le perron, obéissant, les yeux rivés sur un reflet hypnotique. La lumière du néon laisse une marque blanche sur la batte en aluminium placée dans l'entrée en gardienne. Il ne veut pas que sa mère voit sa tronche sinon il est encore bon pour le sermon. Il faut dire qu'il a du disparaître depuis un moment... Plusieurs jours ? Elle s'est inquiétée. Il est pressé. Il va chasser... Il tressaille de fébrilité mais garde la tête baissée et le dos tourné :     
« - M'man ?
  
- Maintenant tu ne réponds même plus quand je te parle ? La femme a une voix douce mais tintée d'angoisse. Elle est au courant pour Alyster et Killian. Qui ne le serait pas ? Cette salope de Al crie sur tous les toits comment il la baise. Grossier, insultant et faux... Tocard. Comme si avoir enlevée à son ancien ami tous ses projets ne suffisait pas, il faut les humilier tous les deux en prime.  
- J'ai pas entendu... Dit-il simplement. C’est la vérité. Dans les paillettes de l'Opale, absorbé par ses réflexion sordides, il s'était oublié ailleurs. Il pose sa main sur son blouson à l'endroit où il dissimule le calibre, il lui paraît énorme. Je dois y aller m'man, je suis pressé. Excuse moi. Je ne rentre pas tard... » Il disparaît dans le flou des néons de la station.  
     
A quelques blocs de là, il retrouve Alyster. C'est facile. Il ne surveille jamais ses trajets et a des horaires réguliers. Celui-ci est en train de faire de la musculation près de l'ouverture qui sert de fenêtre à sa chambre. Le jeune costaud s'admire dans le miroir à chaque pression de ses muscles, il a l'air si fier de lui et de ses préoccupations superficielles. Pour lui le planétaire, il a jute séduit une fille de plus. Pour des spaciens comme Killian ou Joshua, c'est beaucoup plus que ça. C'est le rêve d'une vie volé, c'est un avenir balayé, c'est l’humiliation au yeux de la communauté. Même Mistra ne comprend pas ce qu'il se passe dans la tête de sa fille. Joshua et elle devaient se marier à l'automne prochain... Le jeune homme est tout près, dissimulé dans un angle que l’athlète ne soupçonne pas. D'ailleurs il semble qu'il ne se méfie pas, trop préoccupé par ses biceps. Joshua vise, il prend son temps. Il aime toujours prendre son temps. A cette distance se sera facile de lui faire éclater la tête comme un fruit trop mûr. Josh est parcouru des spasmes d'un ricanement hystérique, extatique. Il ne tremble pas, sa main est sûre. Il arme le chien, le doigt tendu prêt à appliquer la sentence définitive à ce chien galeux. Le sourire suffisant de cette enflure est aligné avec la mire du revolver. On va bien voir qui va se marrer ensuite. Joshua passe sa langue sur ses dents gouttant d'avance le cataclysme. Il commence doucement à presser la détente. Killian est dans la pièce ! Al l'attrape par le bras et l’assoie sur ses genoux. Dès que Josh l’aperçoit, il désarme le chien et relève l'arme, immédiatement. Un frisson glacé le parcoure. Il aurait suffit d'une demi seconde et il l’abattait elle, sans même se douter qu'elle pouvait surgir... L'euphorie du moment laisse place au baisser glacé de l'effroi. Impossible maintenant. Elle sourit. A cet instant le tireur se sent rongé par une nécrose qui rampe à travers ses entrailles. Elle sourit... Il l'avait là dans sa ligne de mire, il était prêt à tirer-il avait envie de tirer- et il a fallu qu'elle soit là. Il a fallu que le sort l'interpose entre son arme et sa cible. Il n'y avait jamais eu de pire moment pour que la chance l'abandonne. Le jeune homme blond reste là, immobile, silencieux, hagard alors qu'il regarde fixement les deux nouveaux amants et qu’elle sourit... Il a la sensation que son âme est un simple cœur de verre qui éclate en milliards de particules. Vaporisé... Il se damnerait pour qu'elle ne sourit pas, pour qu'elle ait l'air abattue, alors il irait la chercher, il irait toujours la chercher où qu'elle soit... Mais elle sourit. Il s'en va. Sur le chemin du retour ses pas sont lourds et ses os ont le poids du plomb. Il croit presque que son âme s'échappe par tous les pores de sa peau sans aucun moyen d'être retenue. Cette dépressurisation mentale l’empêche complètement de penser... En chemin il s’arrête pris par un haut-le-cœur. Il a la tête qui tourne et l'impression que ses tripes veulent le quitter aussi. Il s’appuie contre un mur et il crache ses boyaux. L'écume aux lèvres il se met à rire ; un rire dément, un rire de possédé qui plonge dans les abîmes du désespoir se transformant en sanglots amers. Il déverse tout ce qui a été retenu ces derniers jours : ses larmes, sa haine et les restes de la mémorable intoxication qu'il s’est infligé. Il perd la notion du temps. Après une impitoyable errance, il finit par se retrouver devant le porche de son habitation. A l’intérieur il y a des cris. Des cris de femme. Il est amorphe, complètement vide. Il passe la porte et se fige d'un bloc, silencieux. C'est Catherine qui appelle au secours. L'homme, fort et puissant, la plaque sur la table de la cuisine, penchée en avant à demi allongée sur le plateau. Il maintient ses épaules rivées avec force et elle ne pas peut se débattre. Joshua fixe la scène, il est exsangue. « Je te dis que je ne t'ai pas volé ! Je le jure ! Ne fais pas ça ! Pitié !» crie sa mère entre deux pleurs, suppliante. Lui l'insulte et déchire ses vêtements. Josh sent la fièvre couler dans ses veines. Il sent des crocs lui pousser, des griffes déchirer l'extrémité de ses doigts. L’inconnu défait sa braguette et continue d'imprimer le visage de la pauvre femme sur le plateau de la table en plastech. La respiration du jeune damné devient profonde, calme puis s'accélère et il tend le bras vers sa gauche. Le gars écarte les jambes de sa victime d'un coup de pied habile, il a l'habitude... Les doigts de Joshua se referment sur le manche de la batte en aluminium. Celle-ci vient s'écraser à l'arrière du crane du violeur avec une force telle que l'homme fait un tour sur lui même avant de tomber inerte au sol. Le gamin hurle. Et il frappe, et il frappe, et il frappe... Le déluge de coups continue de pleuvoir plusieurs minutes alors que l'homme était mort au premier. Joshua marmonne des élucubrations anarchiques. La drogue participe elle aussi à l’explosion de jouissance de cet instant de pure sensualité morbide : fantasme d'un acte non consommé, transfert d'une mutation. Ses rires déments déchirent l'abominable silence que le coup d’envoi avait posé jusqu'à ce que la tête de cette pourriture bouffie soit réduite à l'état de pulpe visqueuse, informe et rouge. Il n'y a plus de visage, plus d'os reconnaissable, plus rien d'autre que ce qu'il mérite d'être : une masse anonyme de déchets, vestiges d'un rejeton obscène. Le jeune homme prend sa  mère dans ses bras et la couvre de son blouson après avoir posé son revolver sur la table. Il y a des journées dont on ne revient jamais, celle-ci en est une...

  
  
Il serre le corps de Killian de toutes ses forces, s'enivrant de l'odeur qui le ramène parmi les vivants. Elle ferme les yeux se laissant bercer par cette étreinte qui lui manque tant. Elle s’enivre de sa faim. Elle l’enserre comme s’il avait toujours été là, comme si elle serait toujours là. Le visage enfoui dans son ventre il respire sa peau. Il voudrait se fondre en elle jusqu'à évacuer son propre corps. Il voudrait fuir l'épuisement et la douleur pour se jeter en elle. Il roule sur lui même, les yeux fermés, il est allongé sur les genoux duveteux de Killian qui lui caresse les cheveux. Joshua pose sa main sur celle de Kill. Il cajole sa peau avec passion s’enivrant sa chair. Elle frisonne sous le contact hardant de ses doigts. La morsure est délicieuse. Tout tangue autour de lui et c'est en s’agrippant à elle qu'il recouvre ses forces. Il régénère. Il marmonne quelque chose d'inaudible entre ses lèvres sèches. Il crève de soif. Ses yeux dansent sous ses paupières clauses et il sourit. Il agite la tête, secoué par des visions dont elle ignore tout. Il la caresse de ses mains brûlantes et humides. Tout son corps enfiévré réclame l'attention de sa substance à elle. Il bredouille avec difficulté d'une voix embourbée. « Cette robe te va bien. Elle est un peu longue. Mais le jaune, c’est joli le jaune. J'aime le jaune.. » Il frôle d'une main les cuisses de Killian avec une douceur délectable. Elle se tend à ses paroles, lui caresse la pommette se souvenant, laissant rouler les larmes sur sa joue. Il bascule sa tête en arrière recherchant le contact voluptueux de la bouche de l'autre. Elle hésite. Mais le velours de ses lèvres l’appelle, elle n’a pas la force de résister. Le contact est si doux qu’elle en enfonce ses serres froides dans le matelas innocent. Il inspire profondément, réanimé ! Elle reste recroquevillée sur lui quelques secondes laissant ses longues mèches blondes caresser le visage de son âme sœur. Puis lentement elle se déroule fixant le plafond dans un cri sourd. Elle plisse les paupières ne pouvant retenir la douleur, un spamme la parcoure. Puis Louve hargneuse, elle revient à son devoir, reprenant le balai des ses doigts dans sa tonsure. La course satinée de phalanges habiles dans ses cheveux apaisent les douleurs et la brûlure qui zèbre ses muscles et ses os. Chaque passage de cette main bienveillante et amoureuse dans sa chevelure d'or infiltre à l'intérieur de cette dépouille un souffle frais et ankylosant. Il se sent vivant. Elle glisse sa main dans la masse blonde. Alors que celle-ci coure doucement sur la joue de Josh, il tourne légèrement la tête et dépose au creux de cette paume un baiser embué. Il ouvre les paupières, ses pupilles sont larges et ses yeux révulsés. « Tu sais princesse je t'ai attendue à la sortie hier... Où t'étais passée ? » Ses globes oculaires font des vas-et-viens incessant dans l'impossibilité de se fixer, égarés. Killian se mord les lèvres jusqu’au sang à l’évocation de son surnom d’antan. Elle fixe la gravure de la carte sur le cœur de cet homme, son homme. Elle se perd dans les méandres de sa mémoire qui se réactive à chacune de ses respirations. Il s'agrippe de la main gauche aux draps sur le bord du lit et lève la droite vers le visage de Killian. Le dos de sa main serpente sur la peau blanche de la femme, de son ventre jusqu'à sa gorge. « Tu devrais pas faire la tête, tu sais je t'aime et il te va très bien ce collier... » Elle penche le visage le long de la caresse minaudant comme le félin qui sommeil en elle. Sa respiration se calme. Il se sent frôlé par le courant doucereux d'une climatisation et sa peau s'écaille de chair-de-poule. Il frémit et se mord la lèvre. Il a froid de nouveau, il fronce les sourcils. Son bras redescend le long de l'épaule puis du bras de Killian et il se recroqueville contre elle. Il fixe le vide de ses iris dépassés par des pupilles abyssales, guidé par le parfum de son âme sœur. Il soliloque avec un ton embrumée, cherchant la chaleur de se corps qui le complète. « Je vais chercher ma veste et après on ira à la projection. Tu veux une glace ? ». Sa voix est aux portes de l'abandon. Il continue de parler tout seul un long moment, tantôt calme, tantôt souriant, parfois très agité. A travers le labyrinthe de son esprit disloqué il parvient à suivre le fil qu'elle lui offre vers une sortie placide. Sa respiration se fait plus calme, plus régulière, plus profonde et ses muscles finissent par se relâcher peu à peu. Il termine bien sur par s'endormir enfin, à bout de forces, épuisé d'avoir lutté contre des démons invisibles autant d'heures durant. Il s'enfonce paisiblement dans des voluptés calmes, il lui semble flotter au milieu de l'azur de ses yeux pleins de vagues et de splendeurs mystérieuses. Il peut enfin abandonner, déclarer forfait, puisqu'elle veille. Son bras crispé de crampes tombe lourdement sur le matelas et sa tête roule sur le côté dans un souffle infini. Sa dernière pensée est pour elle. S'il a de la chance, demain matin elle sera toujours là. Elle le replace à la fin du combat contre ses dragons, confortablement dans son lit. Elle lui dépose un baissé sur le front. « Je t’aime. Je saignerais, je mourais pour toi, pour que plus jamais tu ne souffres mon cœur. » lui murmure t-elle assurée de son sommeil. Elle se sent sombrer à son coté .La lutte a été rude mais il est à elle, ils ont gagné.  
  
     
Les yeux bleus de Killian se rouvrent, elle fixe la montre à son poignet. Bien sur elle s’est endormie. Il gît d'un sommeil lourd dans une retraite bien méritée. Elle se lève, repliant le lit derrière elle. Ses agates couvrent une dernière fois cette chair qui lui est si tendre avec bienveillance. La respiration est ample sous la couverture. Kill reste à le regarder dormir quelques minutes souhaitant que tous les matins du monde soient comme celui-ci. Paisibles. Il n’est pas question qu’il retombe dans ses ténèbres en constatant l’étendue du champ de bataille. Elle retourne donc dans la salle de bain. Et commence lentement à enlever le sang de Josh du lavabo. Trop précieux liquide pour être gaspillé. L’eau chaude ruisselant sur ses doigts la ramène à sa vie. Elle se regarde hagarde dans le miroir. Elle a l'air trop vieille, les yeux trop vides, la peau trop blanche. Elle ne s'est pas épargnée ces dernières années. Elle passe un doigt gris sur l'une des crevasses de ses clavicules, avant de se détacher de sa contemplation macabre. Kill replace mécaniquement ses longues mèches derrière ses oreilles. Elle évacue les limbes de la nuit avec l'eau du bain. Elle ramasse les vêtements humides qu'elle laisse dans le panier de linge avec tout ce qui a été souillé par les fluides de la veille fermement déterminée à passer à la laverie avant de prendre son quart. Combat épique avec leurs démons, futile journée déjà oubliée dans ce refuge sentant à présent délicatement le miel. Killian repasse dans la chambre, elle ne peut réprimer un sourire et un ricanement à le voir étreindre le cousin. Oui c'est comme ça qu'elle l'aime. Elle relève les morts du massacre du cycle précédant. La chambre reprend visage humain. Kill ramasse précautionneusement les petits morceaux de verre comme si c'était les diamants de son âme. Elle les glisse dans la poubelle de chambre. Éclats brillants au cœur de l’ombre, c’est exactement ça… Kill regarde la lumière y jouer, consciente de laisser ici elle aussi des cristaux de son âme. Elle lui dépose un nouveau verre de ploin, puis revient au reste de la pièce. Elle tord le nez en constatant l'état de la moquette, malgré ses tentatives d'éponger. Elle a du mal à le laisser là, enroulée dans l'une de ses chemises. Elle s’appuie au chambranle de la porte, contemplant le blondinet, puis quitte ce terrier, ses habits sous le bras.

  
     
Killian ne sourit pas, elle est posée contre la paroi du quai, son maigre sac pendant à ses doigts. L’air est saturé de l'odeur du prométeum. Plus loin, la jeune fille entend les pleures et les cris de ceux qui restent. Ceux qui partent, inconscients de ce qu’ils perdent, rient et blaguent. La voix d’Alyser tonne plus forte que celles des autres, surpasse même celles des Ignasiens. En même temps il fête sa victoire... Elle est vide comme son regard, se perdant sur les cloisons grises. Killian sait ce qu’elle perd. Son humeur est de la couleur des murs d’acier. Elle fixe la foule sachant que ceux qu’elle aime n’y seront pas. Ses yeux refusent de s’humidifier. Elle serre les dents. Les paroles de sa mère lui reviennent.
  
« - Tu réalises ce que tu fais Kill ? T'es inconsciente ou quoi ? Tu préfères aller te faire tuer avec cette abominable planétaire que de t’expliquer avec Josh. Siffle sa mère, le visage bouffit et rougit pas l’annonce du départ de la prunelle de ses yeux.  
- Parle pas comme ça de Al c’est mon ami ! Et puis s'il a rien fait pour me récupérer c’est qu’il m’a jamais aimée ! riposte hargneusement la gamine brune piquée au vif.  
- Je te reconnais plus ! Tu apportes la honte sur nos familles ! Mistra pleure et se tient le visage entre les mains.  
- C’est bien pour ça que je pars. Je veux pas vous voir souffrir comme ça ! C’est la seule solution que j’ai trouvé pour faire taire Al… Killian part en sanglots.  
- Tu fais décidément toujours les mauvais choix ! Si tu pars Killian, je te renie ! Ne reviens plus jamais ! Hurle Mistra. »  
C’était il y a déjà une semaine. Cet épisode l’a obligée à aller vivre chez Al avec juste son sac. Son regard se pose sur le contenant informe en toile. L’azur de ces yeux transperce le tissu beige sale. Dedans il y a ce qui reste de sa vie. Deux pantalons, trois t-shirts, son sweet fétiche, sa planche de skate, la boule à neige que Josh lui a offerte et c’est tout. Elle laisse tout à quelques blocs d’ici.  
Elle ferme les yeux respirant lentement. Plus que trente minutes. Le compte à rebours est déclenché. Elle sort de sa poche intérieure leur photo. Elle le regarde avec son sourire ravageur, ses yeux pétillants. Alors qu’elle baisse le morceau de papier glacée, elle le distingue au milieu de l’agitation. Il est venu. pour elle. Elle avance vers lui comme hypnotisée par les billes bleues iridescentes sous les cheveux blonds. Alyster l’accroche au passage.  
« - Poupée tu vas où ? Avec les gars on embarque. Kill ne tourne même pas le visage.  
- T’inquiète pas Al je serrai pas en retard. Elle laisse glisser de ses doigts son sac dans la poigne d’Alyster. Elle le sèche là, faisant fi de son bras enroulé à sa taille. Killian fend la foule jusqu'à son phare, celui qui illumine chaque jour de sa vie depuis toujours. Si les choses n'avaient pas changées elle lui courrait dans les bras mais là son pas est lent. Elle s’arrête un mètre devant lui, la proximité étant insupportable, l’envie tellement ardente. Il rompt en premier le silence.
  
« - Bonjour Princesse.
  
- Bonjour… Josh. Répond t-elle en baissant la tête.  
- Regarde-moi… Elle relève les yeux les plantant dans son regard, la douleur et insoutenable. Tu es sûre de toi Kill ? Elle se terre dans le mutisme. Nos mères sont en larmes et n’ont même pas le courage de venir te dire adieu. Moi je ne veux pas t’enterrer… Il parle lentement.  
- Je n’y vais pas pour mourir mais pour vous offrir la paix. La voix de la brune tremble.  
- La paix... Il ricane incrédule. Pars pas... Al est un foutu idéaliste, il va vous faire tuer tous les deux.  
- Oui… La paix que Al sorte de votre paysage. Je le suit comme je t’aurais suivit…Tu me sous-estime toujours… Et puis pourquoi je resterai ? Éructe t-elle de colère.
  
- Arrête Kill, je veux pas te faire la guerre. Il secoue la tête d'un air dépité et soupire. Partir au front c’est dangereux et stupide. Surtout pour de mauvaises raisons. Il prend le temps de la regarder. Et c’est faux, je ne t'ai jamais sous-estimée. Il marque une pause Je me suis toujours occupé de toi, reste avec moi. L’âme de Killian vacille et se brise.  
- Je… Je… Je peux pas… C’est trop tard… Si j’y vais pas je devrais fuir toute ma vie, s’ils me trouvent, me rattrapent Sa voix meure comme la lumière dans ses yeux. Le silence est long, pesant et amer. Résigné Josh rompt la distance, lui caresse la joue du dos de la main. Le temps s'étire alors qu'il semble réfléchir. Elle voit les yeux de Joshua briller l'espace d'une seconde et sent sa gorge se serrer. Il la fixe comme si les mots étaient en suspend dans sa tête sans pour autant tenter de parler ni d'argumenter plus. Elle le voit fermer les yeux et inspirer profondément comme si c'était là son dernier souffle. Il déclare forfait.  
- Je serai toujours là pour toi, Princesse ». Elle se mords les lèvres. Ses yeux brillent. Elle a comprit. Trop tard.  
Killian recule. Elle tourne les talons. L’abandonne là. Fend la foule. Grimpe dans le cotre. Se colle contre le hublot et fixe la tête blonde dans la cohue. Elle sait qu'il ne mentait pas. Il l’aime. Elle fait la pire erreur de sa vie, mais elle n’a plus le choix. Elle l’aime. Toujours. Pour toujours. La voix de Al la sort de ses états d’âme.  
« Allez poupée fait pas cette tête, moi je suis là. On va bien s’amuser. Oublie le gringalet. » Se gargarise t-il, mais elle est à lui, irrémédiablement. La haine enflamme ses pupilles. Comment ose t-il ? Comment n'a t-elle rien vu ? Al payera pour le mal qu’il vient de leur faire. Elle le fusille du regard. Et tourne la tête vers le hublot alors que Noubangkok s’éloigne avec sa famille et son âme sœur. Les larmes roulent sur ses joues. Il y a des journées dont on ne revient jamais, celle-ci en est une...


  
Elle se glisse dans ses vêtements, lui laisse la chemise sur le sofa à coté de sa veste extraite du sol. Elle place la tasse de recaf qu'elle vient de finir à coté de l'autre dans l'évier. Kill observe le salon, à nouveau vierge, figé attendant son maître. Il ne reste plus de trace du drame. Si seulement tous s'effaçait comme ça.