Book de KaliCréations : Urielle De Vulpe :: Notre-Dame des Bourrins : In Vino Veritas
Beaucoup de gens boivent pour beaucoup de raisons. Elles sont aussi variées que nombreuses. Certains le font pour oublier. Oublier qui ils sont, d'où ils viennent ; oublier ce et ceux qu'ils ont perdu ou laissé derrière eux. D'autres boivent pour se donner contenance et s'imaginent que l'alcool leur donnera du courage. Ils avalent quelques verres pour affronter l'adversité du monde ou s’insuffler l'espoir et la force de continuer. Pour elle, c'était juste une sale habitude. Elle buvait quand il n'y avait rien d'autre à faire, pour passer le temps et pour ne pas tourner en rond. Parfois simplement parce que cela lui occupait les mains. Ça l'aidait à réfléchir disait-elle. Wolf, pour ce qu'elle s'en souvenait, avait commencé à boire lors de son noviciat. Grâce à l'amassec ou la gnôle d'abbaye, elle noyait l'ennui... Ces longues soirées de silence et de solitude étaient propices à des réflexions moroses. Elle tournait en rond ne parvenant jamais à retrouver le chemin de sa mémoire. Ces flashs toujours brumeux surgissaient du néant dès qu'elle cessait de s'astreindre une tâche. Des carnages, du sang sur ses mains, l'horreur, la mort et l'odeur de la poudre et du souffre, mais jamais aucune certitude, aucun souvenirs de ses vingt années ou plus écoulées qui n'eusse été clair. Boire pour ne pas penser, boire pour ne pas chercher à savoir. Occuper le temps, embrumer la pensée pour pouvoir voir défiler les jours. Elle avait regardé filer tant de longues nuits à patienter que le jour se lève, cherchant un refuge dans la délicate anesthésie de l'alcool. A l'époque, il lui était tellement salutaire de simplement laisser le jour suivant succéder au précédant, sans jamais se questionner au point qu'elle s'en remit complètement aux ordres et à la volonté d'autrui. « Réfléchir, c'est commencer à désobéir ». Elle avait alors pris la décision que seule la foi devait compter. Non qu'elle eusse douté à un moment de l'inflexibilité de sa foi ou de la valeur de son combat, mais pour pouvoir continuer à ignorer le besoin de savoir la vérité ; la nécessité de se donner le choix. N'être qu'un réceptacle, un instrument du Divin Empereur, son marteau de ferveur emprunte d'une inaliénable obéissance... Mais la vie monacale laissait bien trop de temps à la méditation et au questionnement. Elle était devenue un loup en cage et l'ivresse aidant, elle eut sûrement l'impression de passer bien plus de temps à faire pénitence de ses accès de violence, qu'à véritablement prier ou se rendre utile à la communauté. Ainsi, elle décida de quitter la vie de cloîtrée il y a une dizaine d'années et trouva sur les champs de bataille de quoi lutter vraiment pour l'Empereur. Irradier de Sa lumière auprès des hommes et des femmes qui versent pour Lui et pour le reste des Hommes, leur sang ! Ainsi commença la carrière de l’Exorciste Wolf, confiée à bonne école.


A demi affalée sur sa table fixant le liquide ambré dans le fond de son verre, Urielle renifla en se frottant l’œil droit. L'inaction, l'impuissance et l'enfermant l'avaient toujours rendu folle à lier... Et ce salopard de chirurgien qui l'avait foutue dehors manu-militarii... Elle avait patienté six longues heures devant la porte du bloc médical pour s'entendre dire par un medicus affable et épuisé une sacré « Il faut attendre. Elle est entre les mains de l'Empereur maintenant. » Elle posa le verre vide bruyamment, le cognant sur la table à presque le briser et marmonna entre ses dents « Aucun doute... » d'un ton las et imbibé de vapeur d'alcool. Elle considéra un instant la chaise vide en face d'elle, noyée dans le brouhaha du réfectoire. « T'entend ça ? Attendre... Aucun doute qu'elle va rev'nir ! Aucun... Pas un instant.» Elle jeta un regard noir au membre d'équipage qui la regardait d'un air dubitatif par dessus son journal et sa tasse de café. Voilà que maintenant elle causait toute seule... Un frisson glacé lui parcourut le dos en envisageant l'éventualité qu'elle ne parlait pas vraiment seule. Elle scruta la salle autour d'elle. Ouf ! Cette satanée momie ne montrait pas son nez ! Oui, décidément elle n'avait jamais supporté l'inaction... Deux foutus litres et à peine la vue basse... Cela faisait longtemps maintenant que l'amassec ne l’empêchait plus de penser aux heures qui s'écoulent et aux choses contre lesquelles on ne peut rien, même à coups de poings. De toute manière, d'aussi loin que son cerveau purifié puisse s'en souvenir, sa vie personnelle n'avait été qu'une pitoyable et monumentale suite de catastrophes... « Inutile de traîner dans ses pattes qu'il a dit... J' vois pas ce que je peux aller foutre d'autre ! » Elle remplit de nouveau son verre jusqu'au bord et le leva en direction de la place vide en face d'elle. Elle avala deux grosses gorgées puis renifla sourdement avant de faire claquer le récipient sur le plateau de la table et de poser sa tête entre ses mains. Oui, une pitoyable catastrophe. Pour l'honneur et la gloire au combat elle avait toujours été brillante. Mais quand il s'agissait des gens... Tous perdus, morts, balayés, ou pire : oubliés... Et ça c'était bien plus dur et profond qu'une véritable plaie. La tête penchée au dessus de son verre où trempait presque une mèche de cheveux rebelle, elle fit rapidement le bilan... La plupart des êtres qui l'avaient aimée, ou accompagnée n'avaient laissé aucune trace dans sa mémoire. Et elle était bien placée pour savoir que tôt ou tard, l'espace vous sépare de ceux que vous vous êtes laisser aller à aimer. Elle eut un demi sourire amère en repensant à Iann... De lui, elle se souvenait. C'était même l'un des premiers souvenirs clairs qu'elle avait, à tel point qu'à une époque pas si lointaine, il avait été son seul repère. Mais les circonstances qui les avaient fait se rencontrer, aussi bien que celles qui les avaient séparés plusieurs mois plus tard n'étaient pas de celles qu'on a plaisir à se remémorer. C'est ce jour là qu'elle s'était jurée de ne plus s'en remettre à autrui. De ne plus obéir aveuglément même si cela devait la faire accuser d'insubordination ou pire : d'hérésie... Elle était loyale, jusqu'à la mort et ça c'était bien une des seules certitudes qu'elle possédait maintenant. Sa loyauté, et sa foi. Elle, affectée à l'Inquisition, lui reparti sur d'autres fronts. Elle avait suivit pendant un temps les pertes, cruellement nombreuses, des soldats de l'Empire à la recherche de son nom... Et un jour sur un rapport était apparut « Iann Virbosky ». Oui c'est à lui qu'elle avait pensé juste après avoir embrassé Naphilis pour la première fois. Plus exactement à ce que ce genre de relations coûtaient quand on voue sa vie et son âme au serment qu'elles avaient fait toutes deux. Bien entendu si Urielle le lui avait dit, Naphilis aurait sans doute piquer une foutue crise. Mais en vérité elle avait toujours eu conscience du danger que représentaient de tels sentiments : jamais rien qui est humain n'est éternel... Et elles mourraient humaines. Elle releva la tête, ses yeux bleus un peu humides et passa son index sur la longue balafre qui fendait en deux son visage. Elle vida le verre d'un trait, encore. Mais doit-on renoncer au peu de bonheur que le sort nous offre, sous prétexte qu'il va se briser un jour ? Ça elle n'en était pas sure. Au contraire, elle croyait que c'était ces instants à peine goûtés qui valaient que l'on se batte ! Urielle eut un ricanement mesquin qu'elle s'adressa à elle même. Jamais elle n'avait reculé ou baissé la tête au combat, mais sur ce point elle n'avait fait que battre en retraite à chaque fois. Du moins, à chaque fois dont elle pouvait se rappeler. Il n'existait sans doute personne de plus lâche qu'elle dans tout l'Empire sur le terrain du cœur. La grande hispanique inspira profondément pour calmer le feu qui brûlait sa poitrine. Merde... Visiblement elle n'avait pas encore assez bu. « Oh non Crevette, après le cirque que tu m'as fait pour que je reste... Ne compte pas te tirer de ce monde de merde avec autant de facilité petite ! » Ses paupières devinrent chaudes et humides et elle se passa la langue sur ses lèvres ; comme un dernier barrage à la frustration et à l'impression d'impuissance, et respira un grand coup. Ce n'était ni le lieu ni l'instant pour s’épancher, et elle refusait que quiconque la voit flancher, même pas une seconde. Elle se leva de toute sa hauteur, goba littéralement tout le contenu du verre plein et fonça à grande enjambées à peine troublées par l'alcool vers la sortie. Non, elle ne céderait pas le moindre terrain à la peur et au doute ! C'était non négociable !


Tout ce qu'elle voulait maintenant c'était rentrer dans leurs appartements et dormir. Dormir aussi longtemps qu'elle pourrait. Nuits et jours elle prierait pour son retour, nuits et jours elle l'appellerait jusqu'à ce que les deux billes d'améthyste s'ouvrent et qu'elle lui sourit. Elle tituba un peu à quelques distances du couloir du mess. La colère qui grondait dans son ventre remontait le long de sa gorge. Elle sentait des larmes de rage poindre au bord de ses paupières. Non qu'elle eusse failli ou échoué, mais l'injustice cette fois était dure à avaler. Ça passerait. Pour le moment tout ce ramassis de corrompus avides d'argent et ivres de leur petit pouvoir personnel lui donnait envie de hurler et de brûler cette masse grouillantes de mécréants et de faibles ! L'idée une fois encore qu'ils risquaient tous leurs vies, chaque jours pour protéger l'Empire et porter au clair l’étendard du Saint et Divin Empereur avec la plus grande ferveur qui fut ; alors que d'autres mettaient tant de méticulosité à détruire l'Humanité... Ces pauvres cons ne voyaient même pas aussi loin... Remplir leurs caisses d'or et leur vestes de médailles, voilà à quoi ils devaient de verser leur sang et de perdre les leurs... Mais Urielle jura sur l'Aquila qu'on nettoierait toute cette vermine, tôt ou tard. Et si ce n'était pas elle même, d'autres viendraient après elle, et encore d'autres après. Et elle décida à cet instant que son combat en inspirerait des milliers. En chaque vie humaine réside la pureté, par nature et par essence, reflet de l'Empereur ! Et par Lui, cette lumière brillerait dusse t-elle pour ça gravir chaque échelons un à un au prix de sa sueur et de son sang ! Elle ravala un sanglot acide de haine et de désir de représailles. « Un problème ? » La voix Rauque de Mithras avait surgit du néant. Comme toujours silencieux et sournois comme un chat. Urielle le fixa un instant dans un silence troublé. Il s'inquiétait vraiment. Elle eut une sorte de tendresse pour ses efforts, mêlée de nostalgie et de compassion. Elle aurait voulu répondre, lui expliquer et s'étendre devant un verre... Merde, elle avait sacrément besoin d'un ami... Tout ce qui sortit fut un ricanement sourd au travers d'un rictus hybride... L'homme continua sa route en silence, comme toujours... Le bras puissant de l'Exorciste s'envola pour atterrir dans la paroi de métal avec un bruit terriblement retentissant ... Elle sentit l'impact remonter le long de son poing serré, hérisser les os de ses doigts, puis vibrer dans son poignet avant de rebondir dans les muscles de son bras. La douleur fut vive et immédiate, et une chaleur piquante se rependit dans ses phalanges... Mithras se retourna à l'attention de l'Ecclésiaste dans un bruissement de cuir à peine perceptible, figé dans cette absence d'expression glaciale qui le caractérisait. Elle se contenta de serrer les dents et de secouer sa main droite pour en évacuer la tension. « C'est cassé... » Fit-elle brièvement. Il la gratifia d'un évident et compatissant "Ben fallait pas taper dans le mur alors." de sa voix éraillée avec tout le tact qu'il avait pu rassembler et il disparu dans l'ombre. Se maîtriser n'était pas un problème, ça ne l'avait même jamais été. C'était presque devenu une seconde nature, du moins quand elle voulait bien s'en donner la peine. A cet instant, c'était simplement nécessaire. Ce constat pragmatique n'en était que l'expression sommaire.


La guerrière se rendit à l'infirmerie pour qu'on lui fasse une atèle. La question fut vite réglée et l'homme de permanence ne s'attarda pas sur son cas. Urielle en revanche s'attarda beaucoup plus longtemps. Elle se rendit près du lit occupé par son amante. Si paisible dans ce sommeil -elle l'espérait- sans rêve. Elle prit la main de Naphilis et jeta un regard à Moe qui les fixait toujours avec sa ridicule caricature de visage... Elle trouva ça presque comique. La peau dorée de la jeune femme avait subit de graves brûlures, mais rien que sa crème miracle hors de prix ne puisse résoudre. Que son apparence soit modifiée elle s'y attendait. Urielle n'était pas stupide. Il est évident qu'on ne revient pas indemne d'une immersion dans le Warp. Il faudrait se préparer à ces modifications... La lourde patte de Wolf se fit velours alors qu'elle caressait les cheveux blonds de sa compagne. « Non, tu ne t'échapperas pas aussi facilement petite peste. Je suis sure que ça t'amuse de m'inquiéter. » Ecclésiaste l'embrassa tendrement ! Elle passa un long moment à la regarder en souriant à demi. Elle se dit que ce qu'elles avaient était un trésor, peut importe le temps que cela durerait. Chaque jour qu'elles passeraient ensemble serait parfait tel qu'il serait, bénies dans la lumière de l'Empereur. Une larme roula. Non, décidément elle n'avait pas assez bu, il était temps de rentrer. Elle sortit de l'infirmerie et s'appuya contre le mur pour reprendre ses esprits, sa contenance et son souffle. Les pas d'Alecto résonnèrent dans le couloir. Wolf vit à son regard quand elle se redressa de tout son charisme de commandeur, que la jeune fille était résolue à lui parler... Maintenant ! La Sœur de Bataille s'arrêta sans un mot et mit genoux à terre. Les yeux gris d'Alecto débordaient de détermination, d'humilité et de conviction. L’Exorciste ouvrit la bouche estomaquée, en répondant à ce geste par un silence abasourdi. La jeune spatienne semblait absolument résolue et déterminée lorsqu'elle annonça ce qui sonna immédiatement comme un gong assourdissant aux oreilles de la grande brune. Urielle Wolf eut l'impression de prendre un coup de bouteille sur le crâne...
« Wolf, quoi qu'il puisse arriver, je vous suivrai aveuglément jusqu'au cœur de lOeil de la Terreur s'il le faut ! » Urielle pensa que cette fois-ci elle ne pourrait peut-être pas retenir ses larmes, à bout de nerfs. Elle se mit à rire. Un rire effroyable et désarmé... C'était trop. La gorge serrée, elle posa ses deux mains sur les épaules d'Alecto, en secouant la tête. « Non... Non… Pitié ne pose pas genoux à terre devant moi ! » Elle n'était qu' humaine, un chef loyal ou même une inspiration, mais la pureté de la jeune fille n'avait rien à lui envier ! « Alecto redresse-toi je t'en prie ! » supplia t-elle la voix humide pour que la sœur lui fasse front.  Alecto se redressa enfin, sans comprendre tout à fait.  Il y eut un silence, encore un. Un instant où elles se regardèrent droit dans les yeux. La pression de ces deux paluches sur les épaules de la toute jeune combattante se fit presque ardente. « Je n'ai pas besoin de toi à genoux et servile ; mais à mes côtés, droite, fière et debout ! Et l'Empereur sait combien maintenant j'ai besoin de toi ! » Les puissants bras d'Urielle s'enroulèrent autour des épaules d'Alecto dans un accolade réconfortante. Oui, c'est d'une amie, d'une sœur dont elle avait besoin.