Book de KaliAutres textes et poèmes : Insomnie
"L'insomnie est une amante au sexe carnassier... Les draps sont des suaires de solitude."      [Pierre Drachline]

 Il est une moment, alors que la lune pâle et blanche rit d'un air cynique, et que les heures s'étiolent mollement, comme le corps blême et gorgé d'eau d'un noyé boursouflé qui se balance, lancinant, au fil du flot ; où l'on se laisse glisser lentement vers un monde obscur. Le corps lourd et fatigué, les membres engourdis, l'on goute du bout des lèvres une liqueur désirable que l'on prie de nous mener à la paix et au repos de l'âme. Mais quelque part, dans ce crâne embrumé aux orbites molles, l'horreur stridente et persistante perce un trou au goût de souffre et de rouille au creux de sa nuque.



A cet instant, l'on sait déjà que la sensation latente et implacable s'abat sur son esprit alors même que son corps réclamait une retraite salutaire. Comment échapper alors au bourdonnement implacable de l'angoisse qui l'entraine dans les abysses les plus noires de son être, le laissant au prises avec ses propres démons ? Impossible ! Irrémédiable ! Indicible ! On tente alors de se leurrer, car à cette heure nocturne mais peu avancée, l'on s'imagine qu'il lui reste un espoir, une issue. On fixe, à l'image d'un malade à qui on aurait percé le lobe frontal à l'aide d'un trépan, un écran blême mais agité qui débite des paroles et des images grotesques. On regarde l'aiguille tourner, et les chiffres défiler, dans une lumière spectrale et bleutée. Bientôt perdu, presque bavant, on fini par désespérer un jour que ses yeux se ferment, lourds et épuisés d'avoir tant absorbé.



Ici commence un voyage des plus sombres car à cet instant, on sait depuis longtemps que l'on est perdu et que rien n'arrêtera cette chute vertigineuse à travers son enfer personnel. D'abord on tombe. La sensation est intense, brutale, et la fébrilité qu'on en retire nous fait littéralement vibrer. On croit que l'on a plus conscience du sommeil lui même. On est presque heureux, euphorique de se dire que l'on flirt avec la nuit : belle dame sombre et séduisante, mystérieuse et charismatique, qui promet un embrasement tendre et chaleureux. Mais très vite, cette femme froide et distante n'offre qu'un coït brutal et désincarné. Ne reste alors que la frustration d'une union inachevée, et la solitude glaciale d'une âme qui se sent abandonnée.



La frustration est la pire des succubes. Elle noie l'esprit dans le vin de la culpabilité et le love dans les angoisses les plus abyssales. La terreur attaque alors les organes, est on se sait déjà ronger de l'intérieur par l'horreur de sa propre terreur d'être seul, seul face à ses angoisses, seul face à soi. La nuit ne répond plus, son travail amorcé, et ne lui renvoi que l'écho de son propre silence de condamné qui résonne le long des murs. Recroquevillé, on se voit de l'extérieur, et l'on remarque, au fond de son propre regard le passage fugace et brulant du chaos. L'image tremblante de la terreur mêlée à la violence de l'auto-destruction. On veut que sa chair s'arrache, des ses dents se brisent, que ses os se disloquent... Les bras enlacés autour des genoux, on se trouve finalement au dessus de draps livides et dépeuplés, exécutant, avec indolence, un mouvement perpétuel et désarticulé, les yeux humides et fixes sur la surface mouvementée du téléviseur, plongé dans l'errance et l'isolement. A cet instant plus rien d'autre n'existe que la peur. La terreur et l'angoisse sont maitresses du royaume qu'était son esprit et plus rien ne filtre du monde qui semble maintenant pâle copie d'un imaginaire acculé. Ni les piaillements bruyants et anarchiques du poste, ni les images grouillantes et grotesques qui se bousculent derrière cette fenêtre ridicule et close. Il n'y a que la détresse, le malaise et l'oppression. Reste ce terrible noeud de douleur qui ulcère l'estomac et le tragique sentiment d'abandon qui frappe son coeur et ses tempes dans les coups brutaux des écho absents de la nuit.



L'âme au bord des paupières, on est maintenant persuadé que rien ne pourrait nous tirer de ce trou béant qui a gobé toute ses capacités à lutter contre le tourment qui hante sa tête. Logique et bon sens ont été avalés en une gorgée goulue par l'abysse il y a déjà des heures, et la folie est la seule réponse qu'on se fait dans le noir pour riposter à l'horreur de cette solitude. Sonne ainsi le tintement clair d'une voix serrée à travers une gorge qui éclate et qui, dans le vide, vient sangloter comme un appel final à remplir l'espace, dans l'attente désespérée d'un dernier écho à la solitude. Qui viendra donc le délivrer de l'horreur mortelle des angoisses nocturnes ? Et on se retrouve à prier des saints bien obscures comme ultime et suprême délivrance.



Le temps se torsade tout comme ses tripes et on imagine que l'on déverse par ses yeux le contenu goudronneux d'un estomac malade. Liquéfié, cerné et désemparé, on cherche par la violence et le chaos à sortir de l'abime ténébreux où l'on glisse sans aucune prise, hurlant le néant au milieu d'un silence fracassant et plantant des griffes d'effroi dans les parois glaciales de l'obscurité. Ensuite vient la douleur. On sent son estomac se tordre et gesticuler dans une danse grotesque et on espère qu'une autre douleur, plus clémente, viendra faire oublié celle ci. Ce sont les larmes qui finissent par fuir ensuite son corps comme tout entourage imaginable aurait pu fuir auparavant ! Ainsi dépossédé, désincarné, déshumanisé, il ne reste rien que l'angoisse et l'effroi pour répondre à travers le noir hermétique, et la raison se fragmente telle un kaléidoscope qui viendrait écarter l'écho de la solitude par celui de la douleur.



Le long de l'épine dorsale, coule l'acide de l'amertume et de la culpabilité, du misérabilisme et du pathétique qui ronge, et on se trouve alors aux abois. Enfin, seule compagne clémente et connue, la migraine bat dans ses tempes, délivrance qu'elle est. Cette chape d'étains est une musique familière, sourde et rythmée, sensible métronome salvateur à la démence de cet instant interminable. Elle impose sa présence amie au silence atroce qui l'avait précédé. Le torrent émotionnel s'est déversé et on s'est déjà noyé dans la certitude sa propre perdition, persuadé que jamais, personne ne viendra répondre à l'écho glacé de ces nuits solitaires.