Book de KaliCréations : Urielle De Vulpe :: Notre-Dame des Bourrins : Mon dieu, du sang. Tout ce sang...
Mon Dieu du sang. Tout ce sang...
C'est comme si tout était et avait toujours été maculé d’hémoglobine. Le liquide poisseux couvrait tout, éclaboussant les murs grisâtres de sa pellicule soyeuse écarlate et grasse à l'odeur métallique. Cette poie purpurine rependue dans le moindre recoin dégoulinait le long des murs et lui rendait tout déplacement extrêmement difficile. Elle avait tenté d’empêcher le sang de couler par tout les moyens qu'elle avait pu trouver. Elle avait resserré les valves, calfeutré les interstices, bouché les ouvertures... Rien n'avait fonctionné. Le sang continuait de couler abondamment par la moindre grille. Il fallait évacuer, il n'y avait plus personne. C'était une zone fantôme où les seuls sons qui courraient encore était les hurlements d'horreur des âmes errantes de la station et le ruissellement incessant. Elle tentait de se raccrocher à la moindre aspérité alors qu'elle glissait sur le sol à chacun de ses mouvements. Impossible d'avancer. Urielle posait un pied devant l'autre péniblement, se jetant désespérément en avant, alors que le long couloir de la station s'allongeait inexorablement. Plus elle essayait de courir plus le couloir s'étirait démesurément alors que suintait le liquide chatoyant à gouttes lentes et dodues. La matière soyeuse faisait se dérober le sol sous ses pas et ses tentatives rejoindre la porte menant à la partie haute restaient stériles. L'odeur de fer emplissait l'espace et malgré tout les efforts que faisait Urielle, le moindre mètre parcouru était un véritable martyre. Elle s'écroulait, ne parvenant à se redresser qu'un instant avant de se cramponner de façon désespérée pour faire un pas de plus dans la mélasse glissante rependue partout... Elle réussit enfin à passer la porte qu'elle croyait scellée et qui avait été arrachée de ses gonds par une inexplicable et terrible force. Elle chuta violemment dans la coursive du haut et se releva à grand peine dérapant dans le sang qui lui arrivait maintenant aux chevilles. La nausée étreignait sa gorge et ses mains ne parvenaient pas à saisir la rampe menant au quai d'embarquement. L'odeur de viande crue et pourrie refoulait depuis les bouches d’aérations. Les hurlements de l'épouse de Paul résonnaient comme un échos dans la coursive alors qu'à travers la grille sous ses pieds, le sanglant liquide montait encore depuis la flèche basse ! La coursive se remplissait. Elle pouvait sentir la station. Chaque respiration faisait vibrer les parois, chaque pas était un coup dans les entrailles de cette vielle dame mourante. Jevel saignait. Elle exhalait le sang de ses martyres, le sang des châtiments, le sang des innocents... De ceux qui avaient péché, de ceux qui s'étaient maudits, de ceux qui n'avaient pas pu être sauvés...Tout ce sang débordait depuis le cœur de Jevel et venait vomir dans les coursives labyrinthique de ce piège de métal. Urielle avançait vers la porte de la rampe de lancement alors que le sang atteignait la hauteur de ses mollets. Étreinte par l'horreur, la peur et l'angoisse, elle saisit le volant de la lourde porte pressurisée des deux mains... Elle banda ses muscles et tourna la serrure rouillée de toutes ses forces. Le vacarme était assourdissant tant la rouille avait rongé la porte qui fut autre fois fonctionnelle. Alors qu'elle s'attendait à trouver Paul, tambourinant et pétrifié d'une terreur claustrophobe, l'air se vida d'un coup ! La pression descendait brusquement, elle sentit ses tympans éclater et l'oxygène quitter ses poumons. La brûlure fut instantanée alors que le flot de vitae s'engouffrait dans le vide laissé par la porte. Elle se sentit happée.


Immédiatement l'air chaud incendia ses poumons. La lumière assaillit ses yeux comme une volée d'aiguilles. Elle leva le bras pour se cacher le visage. Urielle eut la soudaine impression de pouvoir à nouveau respirer presque normalement. La gravité était différente et une odeur de poussière et de silice flottait, légère, dans l'air. Quand elle put enfin ouvrit les yeux, luttant douloureusement contre la luminosité trop intense, elle se trouvait face à la mer. L'eau écarlate reflétait le ciel lui même baigné de rouge. La falaise terre de sienne lançait ses échardes vers l'horizon. Le palais de Castelnuevo renvoyait l'éclat du soleil de ses murs blancs sur les tourbillons de poussière rougeâtre. La chaleur accablante réchauffait sa peau alors qu'elle contemplait la mer de sang, avec l'absolue conscience de tous les morts qu'avait avalés cette terre. Du sol à la poussière, tout sentait l’hémoglobine et la poudre, et la terre gorgée de vies volées semblait même respirer. Elle inspira profondément profitant de l'instant de calme nostalgique et déjà enfuit qui suivait l'horreur. Puis elle leva les yeux vers les immenses nuages qui s’aggloméraient au dessus d'elle. La masse sombre s’étendait progressivement d'un bout à l'autre de la ligne d'horizon alors que le tonnerre résonnait déjà au loin. Il pleuvait rarement sur Ignasus, mais lorsque cela se produisait, les averses étaient abondantes. Elle leva le visage vers les cieux et ferma les yeux, s'attendant à sentir la douce caresse de la pluie de mousson sur sa peau. Une première goutte carmin s'écrasa sur sa paupière et roula, épaisse et visqueuse, le long de sa joue. Elle porta sa main à sa pommette ramassant du bout des doigts cette larme incongrue. Urielle constata avec effroi la nature du liquide. Elle envisagea de se replier vers le castel, à quelques mètres derrière elle, pour échapper à cette malédiction sanglante. Alors qu’elle se mettait à courir, la roche cramoisie sembla mollir. Les aiguilles rubescentes descendaient en rafales comme autant de flèche mortelles. Le sable engloutissait ses pieds, ses chevilles. Elle les en retirait avec peine, laissant un trou rempli de sang. Elle luttait à chaque enjambée pour ne pas s'enfoncer plus dans les entrailles de ce monde qui avait déjà englouti tout les espoirs, toutes les luttes... Maintenant enfoncée jusqu’aux genoux, elle tendait les bras pour agripper le sol autrefois poussiéreux qui maintenant cédait comme de la patte à modeler. Ses doigts crispés laissaient de profonds sillons alors qu'elle combattait pour s'extraire de ses sables mouvants. Tendue de tout son corps, élancée vers les marches de l'escalier, couverte de sang des pieds à la tête par cette hémorragie de planète... Ses cheveux lui collait au visage, englués dans cette poie. Du bout des ongles elle toucha enfin le bas des marches de marbre y incrustant des griffures carmins macabres avant de parvenir sur le promontoire. Il lui semblait que le sol lançait vers elle ses tentacules pourpres et ensanglantés pour la garder. La terre respirait, la terre appelait, la terre hurlait... Elle rampa jusqu'à l’immense porte acajou qui la séparait encore de l'abri rassurant de la maison de son père. Alors qu’elle s'y adossait espérant que celle-ci céderait vers un refuge salutaire, son dos ne rencontra pas la surface dure attendue. Elle se sentit plonger dans l'eau comme si elle venait de tomber de la falaise elle même. Elle coulait. Urielle ouvrit les yeux et un écran de liquide vermillon l’encadrait. Elle se débattait comme une damnée pour ne pas disparaître dans les profondeurs de cette marrée infernale. Au bout d'un moment qui lui semblait être une vie, elle sentit ses poumons se rétracter sous la pression du manque d'oxygène. Elle se débattit pour ne pas avaler le fluide. Le ressac la poussait d'avant en arrière, d'avant en arrière... Elle suffoquait dans la danse lancinante de cette mer d'angoisse. Le flux et le reflux lui rendait toute tentative d'échapper à la noyade impossible. Puis elle ouvrit la bouche. Une goulée mortelle fit exploser ses poumons ! Son champ de vision devint noir. Les vagues la portaient. Elle se balançait. Au large, le chant du ressac.


Le mouvement lancinant persistait. Quand elle revint à elle, elle sentait un poids sur son corps. Les vague continuaient à refluer. Dans son dos, la terre était froide et humide. Elle sentit d'abord le parfum du souffre et de la poudre. Le mouvement régulier la berçait. Le corps chaud au dessus d'elle sentait le musc. Elle reconnut l'odeur qui l'accompagnait dans cette agitation rythmique et douce. Il la serrait contre lui, son souffle roque et haletant dans son cou. Elle glissa ses mains sur la musculature masculine qui l'enserrait, resserrant la tendre pression de ses cuisses autour de la taille de l'homme. Ian poussa un râle puissant auquel elle répondit par un gémissement sourd et profond. Elle sentit une de ses mains imposantes sous son dos, l'autre fut glissée sous ses fesses. Il souleva légèrement son bassin alors qu’elle ouvrait les yeux pour le regarder. Elle sourit sous la longue vibration qui parcourut ses reins alors qu'il la berçait encore et encore. Il lui rendit son sourire dans un long soupire. Elle reposa sa tête sur le sol comprenant où il se trouvaient. Ils étaient allongés dans la boue noire sous un ciel de feu. Le bruit assourdissant des bombardements faisaient trembler la terre. La bourbe sous eux était glacée et son odeur glauque gouvernait l'espace. Un parfum saumâtre et les effluves des explosifs se noyaient dans celui de la peau de son amant. Les flammes et le fracas des combat emplissait les cieux. Chaque coup de semonce les secouait tout les deux, métronome de leur ébat. Ian couvrait Urielle de son corps brûlant et couturé de cicatrices. Il roulèrent sur eux même dans la glaise sombre. Il pinça les lèvres alors qu'il remontait les mains le long de son échine. Les cheveux de jais de la jeune femme retombèrent sur ses épaules. Ian empoigna ses reins avec fermeté alors qu'elle se cambrait au dessus de lui. Elle le sentit se raidir alors qu'il expirait bruyamment. Leurs mouvements saccadés et rapides se laissaient accompagner par les salves de tirs dans le lointain sous la grêle de flammes qui dégringolait sur eux. L'instant resta en suspend alors qu'il se scrutaient mutuellement. Puis Ian prit une expression de profond étonnement qui se transforma en vision d'horreur. Urielle sauta sur ses pieds et fixa Ian avec abomination ! L'homme hurlait de douleur, se débattant de façon anarchique dans le limon. Elle restait là, figée de répulsion. Il se liquéfiait ! Tout son corps perdait structure et consistance. Son sang suppurait par tous les pores, alors que son essence se déversait sur la tourbe noirâtre en une fine pellicule visqueuse et vermeille. Elle entendit les hurlements partout autour. Elle se retourna hagarde, scrutant autour d'elle envahie par la panique. Elle vit les soldats se débattre, avalés par la bourbe. Tous dévorés, liquéfiés. Chaque silhouette verticale fondait dans des rugissement de douleur et de terreur ! Urielle voulait fuir mais il n'y avait nul par où se cacher. Nue au milieu de la débâcle et des cris. Tout ce sang lui arrivait à mi cuisses alors que les tirs d'artilleries couvraient tout autre sons, assourdissants. Elle se mit à hurler ! A appeler au secours, à prier tant qu’elle pouvait. Elle tomba à genoux, le liquide lui arrivant aux épaules, ne pouvant plus bouger. Elle regardait ses mains, désespérément vides, qu'elle plongeaient dans l'inondation à la recherche du corps de son amant, sondant pétrifiée par la détresse les profondeurs écarlates, frénétique.


Une voix frêle et cristalline surgit du néant dans ce paysage d'apocalypse. Urielle se releva d'un bon et fit volte face. Naphilis se tenait devant elle, ses cheveux blonds relevés en un épais chignon. La jeune femme la regardait dans les yeux avec un air inquiet et dramatique. Incrédule Urielle saisit sa compagne par la taille et la serra contre elle comme si c'était la dernière fois qu'elle la touchait ! « Chérie, qu'est-ce qu'il y a ? » demanda Naphilis la voix tremblante et troublée d'angoisse. Urielle enfouit son visage dans les boucles blondes de la jeune femme, s'enivrant de son odeur rassurante, priant pour que disparaissent ces visions macabres. Les mèches dorées libérées par ce geste retombèrent le long de la frêle silhouette de la psyker. Ils plongèrent dans le bain de sang qui étaient à leur pieds et prirent une teinte sombre. De longs filets de cheveux bordeaux coulaient jusqu'aux pieds de la jeune femme qui scrutait sa compagne maculée de sang avec un regard mauve rongé par la frayeur. Urielle la fixait muette dans les affres de son malaise. Puis une expression d’hébétude se plaqua sur le visage de Naphilis. La brune ne comprenait pas le silence écrasant qui s’abattait sur elles. La jeune psyker, immobile et figée dans une expression d'effroi tenta d'articuler quelque chose mais tout ce qui sortit de sa bouche fut un hoquet désespéré. Des bulles sanguinolentes roulèrent en flot le long de son menton. La grande brune se recula assaillie par l'épouvante, retirant ses mains de l’abdomen meurtri de son amante qui s'enfonça sous la surface de la mer de liquide pourpre. Ses ongles changés en griffes acérée, ses mains couvertes d'entrailles, pétrifiée. Ces longs doigts monstrueux et mon Dieu ce sang. Tout ce sang ...


Elle ouvrit les yeux dans un sursaut et fixa le plafond dont les angelots ridicules et obscènes de stuc étaient dissimulés par le ciel de lit. Urielle reteint la nausée qui remontait de son estomac. Elle s’empêcha de vomir... Elle s'assit sur le rebord du lit, luisante de transpiration, et fixa ses mains en déglutissant avec grand peine. Elle avait besoin d'une douche... Mon Dieu tout ce sang...