Book de KaliCréations : Joshua Alexander Starr :: Le valet de Cœur : Trois nuits de lune pleine (part 1)

Trois nuits de lune pleine (part1)

Et bien, pas fâché de partir ! Jouer les gigolos de services ça a tendance à m'agacer et j'en ai pas tellement profité que ça. La bête curieuse et exotique à destination d'une foule livide qui s’ennuie si mortellement qu'ils en sont réduits à s’humilier les uns les autres... Les divertir d'illusions c’est ce que je fais de mieux. Quelques tours de passe-passe et quelques regards hypnotiques, beaucoup ont succombé à mon charme. Hommes et femmes, en histoire ou en affaire autant qu'aux jeux. Et le maître, ses marionnettes blêmes pendues au bout des doigts, assénant autant de mensonges que je peux moi même en vomir à la moindre pensée. Otto est au bureau de douane et j’attends sur le quai. Je vérifie qu'on charge tout correctement et que la précieuse cargaison ne souffre d'aucun mal,d'aucune brutalité. Je fixe une de ces grandes caisses grises, isolées, hermétiques, et j'évite surtout soigneusement de remettre en doute ce que m'a affirmé le commanditaire concernant leur contenu occulte. « Juste des meubles et quelques contre-façons de tableaux ». Mouais… Heureusement Otto me coupe dans la germination de mes suspicions sordides. Travis est plutôt satisfait de la suite qu'il a pu se dégoter auprès du Mécanicus local. Il a été inquiet toute la semaine et je n'y pouvais pas grand chose, ça m'a fait chier. Je lui ai dit que ça irait et qu'avec un peu de bol il aurait pas que des glands à sa disposition et qu'on lui collerait pas de branleurs de totems. Apparemment j'avais raison. Ils prennent la seconde navette et Trav' remonte avec sa tripotée d'enrubannés. C’est marrant, on dirait une famille de volaille à tous marcher derrière lui en rang d'oignons. Je me mare en tournant la tête vers Manie qui râle. Je les interpelle, elle et Killian, d'un geste du menton : « Qu'est-ce qu'elle a ? Ça va pas ? » Il n'y a pas encore une semaine cette poulette était dans un état de souffrance tel que j'en ai blêmi sur le coup quand je l'ai vue. Bon sang son dos ! Elle était retournée à l'envers comme une possédée, la pauvre. Travis et Crystale ont fait du bon boulot et elle a été vite sur pied. Elle est très jolie. Je la détaille alors qu'Otto fait une dernière vérification avec son habituel air contrit dans son col amidonné. Diable que ce corset va bien à la jeune femme. D'ordinaire, je rechigne un peu à nous endimancher mais cette fois je dois dire que j'y gagne au change. J'adore sa silhouette. Fine, gracile, jolie et cet air un peu renfrogné derrière le miroir de ses grands yeux clairs. Son visage est dur sous ses soyeux cheveux longs, et j'ai presque goutté à sa peau... Sa coiffure coule le long de ses épaules, et force le regard à chuter dans cette gorge généreuse malgré son age impudique. Elle était hier à mon bras, sous les regards inquisiteurs de Killian et envieux des membres de l'assistance, tant et si bien que mes doigts ont fini par ramper le long de la soie de ses poignets fins, sensuels. Elle n'était plus alors en sécurité à mon bras. J'ai préféré rejoindre les autres vampires à leur festin d’indécence. Tout ça sent la chair morte... « Elle a mal au dos, c’est à cause du corset. » Me dit Killian alors que l'objet de mon tourment immédiat se débat avec son carcan.
«- Il lui va ben. » dis-je après réflexion.
- Ça, tu aimes hein ! Me lance mon âme sœur sur son ton à la fois complice et amer. Je souris.
- Killian, tu sais bien que je n'ai pas besoin que tu sois devant moi pour savoir que ce fuseau te va à ravir... » Je laisse ma provocation en suspend avec un sourire ravageur alors qu'elle secoue la tête dans un petit son moqueur. Moi je retourne à mes caisses. Elle ressemblent à des cercueils qu'on aurait empilés dans la navette de Betty... Ma pauvre Betty, pardonne moi de lover ces enfants morts-nés au creux de ton ventre. Je soupire. Je prie pour que cet enfoiré n'ait pas menti. A force de jouer du pipot avec les autres flûtistes j'ai perdu la mélodie, je ne peux qu'espérer avoir de la chance... Ça sent la mort. J’aperçois un type approcher. En parlant de cadavre, je crois que cette blonde a pris pour eux tous hier soir. Je l'ai laissé aride, viande froide sur le linceul de ma couche. J'ai tout avalé, ravagé de manière à ce qu'aucun autre corps ne puisse jamais rassasier cette goule avide... Jamais... « Si on nettoyait la sous-ruche, qui mangerait nos ordures !? » Salope ! Au moins cette bouche vénale n’émet plus tes rires sardoniques de gorgone lorsqu'elle est pleine... Poupée de plastique désarticulée, jouet cassé maintenant, après être passé entre mes mains, retourne donc, toi et ta beauté artificielle, dans les bras de ton impuissant de mari croulant et ramène lui mon odeur de macchabée puisqu'elle ne te quittera plus ! Le type louche coupe ma digression en m'adressant un graisseux et crispé « Noble libre marchand ? »... Noble. Comme dirait Travis « Et mon cul c'est du téflon ! ». Je me contente de lui adresser un signe de tête pour lui signifier qu'il a mon attention.
« - J'ai su que vous faisiez route vers Makabale, je voudrais savoir votre prix pour me prendre, moi et quelques uns de mes amis, à votre bord. » Je fronce les sourcils. Ça, ça sent la merde par contre... J’entends Otto et son grand manteau qui se glissent dans mon dos. Si Otto et moi sommes en phase c'est qu'il a reniflé la même odeur que moi.
- J'ai déjà une course, désolé. Je ne préfère pas m'embarquer dans des palabres... Ce mec pu le mensonge à quinze parsecs...
- Monsieur, il insiste, je suis prêt à payer, il est très important pour moi de me rendre rapidement sur Makabale. Et voilà ça me titille... Je regarde autour, je m'attends à ce que ce gros connard d'Oquintus nous ait envoyé des assassins. Je repère une tripotée de pecnots qui font semblant d'avoir l'air de rien à droite à gauche, le genre planqués dans son journal à l'envers... Je gagne du temps, histoire de laisser à Otto toute latitude d'observer, il a remarqué que le gars était pas net lui aussi. Killian tique à notre attitude.
- Donnez-moi le motif de votre voyage et moi je vous dirai si ça me va.
- Vous feriez mieux de l'ignorer pour votre sécurité. » Ben voyons! Je reste cool. Alors là mon petit père, pas de ce ton avec moi, tu vas cracher ta pilule je te le dis.
- Oui et je veux le motif de votre voyage pour votre sécurité et celle de mon équipage, ou je ne vous embarque pas, c'est aussi simple que ça. Le petit râblais se ratatine et me baragouine trois mots qu'il mâche péniblement avant de finalement me sortir :
- Nous sommes sous-ruchards et nous voulons partir pour commencer une vie ailleurs. Je lève un sourcil. Rarement entendu un si mauvais bobard !
- Mais bien sûr, sur un monde médiéval ravagé par une guerre féodale, en pleine zone de non droit, pour commencer le rêve d'une nouvelle vie ! Tu m'as pris pour un con ? Je sens Killian reprendre intérieurement et en canon ma réflexion. Son expression ne laisse aucun doute et elle arme déjà sa gardienne.
Casquette se penche à mon oreille avec son air grave et me glisse quelques mots au sujet de notre nouvel ami. Il me dit qu'il n'ont pas la dégaine de sous-ruchards -je suis d'accord-, il me dit dit qu'il cherche à nous entuber -là aussi je suis d'accord-, et que le type à un marquage qui montre qu'il appartient à ecclériarchie -ça j'avais pas vu-. Je lui précise quand même qu'on est entourés d'une trentaine de mecs en train de se faire passer -mal- pour des badauds. Après concertation entre mon responsable de la sécurité et moi même je lui balance :
« -Dis donc, si tu me disais ce que tu veux, prélat, au lieux d'essayer de me jouer de la flûte ? » Le type se liquéfie. Il bafouille et il transpire à grosses gouttes. Bingo ! Bien joué Otto. Il a l'odeur de l'animal acculé, il se tord les mains et cherche du regard du secours auprès de ses infiltrés, autour, qui n'ont pas l'air de savoir comment réagir. Finalement il est mûr, prêt à se mettre à table et à enfin nous dire pourquoi il veux absolument monter à bord du Lucky Betty et pas un autre... Et il réclame de l'intimité en plus. Alors on grimpe, mon p'tit pote Otto et moi, avec notre nouveau copain dans la navette, histoire de discuter affaires entre hommes, pendant que Kill et Capucine montent la garde au cas où la brochette d'espions du dimanche décideraient de faire un truc stupide. On le fait s’asseoir. Il est dans ses petits souliers. C'est au tour d'Otto de passer aux fourneaux, et coté cuisine c’est un chef. Nous sommes attentifs. Le mec prend une grande inspiration, je sens son haleine, il crève de trouille mais il y a un truc vital là-dessous. Il nous regarde droit dans les yeux, comme si tout reposait sur l'unique révélation qu'il s'apprêtait à transmettre. Il se lance dans le silence de plomb qu'Otto lui a laissé comme on se jette dans le vide. « Quel-est votre point de vue sur l'esclavage ? ». Mon pote et moi on tousse. Bordel on est vraiment des cons et on s'est mentis comme des idiots tellement on avait envie que cette course soit clean. Genre, la course magique et tout bien polie à 100.000 Trônes... Non mais t'y crois ? On répond simultanément :
« - On s'y oppose franchement... C’est flippant tellement on est synchros. Otto a du se faire la même réflexion que moi. Je me sens merdeux !
- Alors vous ne savez pas ce que vous transportez. » Van Kurt et moi on se regarde sans rien dire mais dans notre tête, y a la même phrase « Oh si mec... On sait... ». Le gars nous explique que ce connard d'Oquintus livre des jeunes femmes dans des caissons de stases à son pote sur Makabale. Confirmation. Il ajoute que lui et ses gars avaient l'intention d'embarquer sur ma Betty et de prendre le contrôle de la passerelle. Ces boulets s'était sanglés de l'explosif tout autour du bide et ils auraient menacé de tout faire péter si on avait refusé d'obtempérer ou si on les avaient buttés. Merde les cons. Le Commissaire et moi on se pose. J'en peux plus de porter ce costume à la con, et cette peau de Loup de Styrr pèse une tonne. Le gars nous demande de l'aider. Il veut faire échapper notre cargaison. Le choix de merde : tu dis oui tu perds ta vie, tu dis non tu perds ton âme... Je me creuse la tête. J'entends le mec négocier avec Otto qui se débat, avec ce problème bien sale plein les pognes. Je ne sais pas comment on va s'en sortir. Je retourne le machin dans tous les sens comme si c'était une de ses nanas de la spyre que j'avais dans mon plumard... Bon sang, j'en chie ! Je ne vois vraiment pas comment on peut ne pas livrer le chargement et s'en tirer : le Comte d'Oquintus est en cheville avec l'Officio Assassinorum grâce à cette raclure de fond de collecteur d'égouts d'Alderic ! Et si c'était ça justement la solution, qu'on livre quand même le chargement... Je lâche : « Y a une solution, je sais ce qu'on va faire... »




Je me suis enfin douché. Je me sens pas mieux mais moins sale. L'odeur de cette salope me collait encore à la peau, j'ai horreur de les ramener celles-là ; mais j'étais tellement pressé de partir ce matin que j'ai fais fi. J'avoue que je n'avais aucune envie de la voir se réveiller. Il y a des moments dont je préfère me dispenser... Je me suis changé. Le costume d'apparat et la fourrure portent un parfum de viande avariée aujourd'hui. A croire que tout ce que je touche pourrit en un temps record. Je ne suis pas fâché de me libérer de ce costume de clown. Fini le gala. Goodbay Alexander, je t'ai assez vu pour aujourd'hui... Et puis j'avais trop besoin d'une trace pour avaler ça. J'ai profité d'être cinq minutes tranquille dans ma salle de bain pour mon tête à tête des sales jours avec Opale. Douce et blanche Opale aux reflets irisés qui m'électrise. Une caresse avant de respirer tes effluves et je suis réanimé. Et bien, les privilégiés de la spyre ne se tapent pas n'importe quoi... Go !
Bon sang, je suis vert ! Des frigos dans mes cales... Mes trente zozos ont été désarmés et on a collé tout ça dans un dortoir histoire des les avoir bien à l’œil, qu'il ne leur pousse pas des idées de faire des conneries. Moi, je monte sur la passerelle en vitesse pour m'assurer que tout roule au poil et accessoirement trouver une solution pour déposer mes messies discrètement et qu'on se fasse pas piner à cause d'eux... Là haut, Travis me file un coup de main, je vois avec lui ce qu'on peut jouer. Trav' est magique, il trouve tout de suite ! Il me propose de demander à ses gars de maquiller une de nos navettes Arvus et de la faire se poser en premier. C'est encore ce qui marcherait le mieux si au moins l'un de nos principaux intéressés était foutu de piloter ! Mais non. Je les insulte. Satanés idéalistes. Bons à rien. Il n'y en a pas un qui bronche. D'un autre côté, ils savent dans quel bourbier ils m'ont mis, c’est le minimum. Je suis pas vraiment en colère après eux, mais surtout après moi. Quel con vraiment ! Je le savais que ce gars était pourri jusqu'à l'os ; Otto le savait aussi et j'ai fermé les yeux en me disant que je suis un veinard et qu'on nous épargnerait les saloperies esclavagistes. Du coup je me retrouve en train de jouer les illusionnistes avec une putain de colombe de quinze tonnes ! L'objectif ? Les faire disparaître tous et réapparaître ensuite sous une pluie de paillettes. Killian a toujours dit que je suis un magicien, et bien je vais agiter ma baguette et puis à la fin du tour on lancera des confettis...


Bon, j'ai discuté avec mes pilotes. J'ai un volontaire. Il n'a pas fallu longtemps après avoir expliqué le fond du problème. Le mec est un ancien esclave, il a décidé de risquer sa peau pour poser les clampins et de peut-être pas revenir si ça se passait mal. Bon sang, en plus de ça je dois envoyer un homme en sacrifice. Je me sens mal. Si j'avais pas ma dose je pense que je m'effondrerait tellement ça me crève l'âme. Je suis vraiment un tocard. Si ce gars avait pas insisté j'aurais continué de faire semblant et je serais reparti de Makabale en me disant qu'au pire j'avais dealé des œuvres d'art contrefaites. Mon pilote se fait même une question d'honneur d'aller réparer l'affront. Si ce gars rentre pas j'en serais malade ! Quand je lui explique qu'il peut se faire tuer et que je peux rien pour lui une fois quitté le Betty, il me lâche : «  Capitaine, chanceux comme vous êtes, si vous pariez sur moi je peux pas mourir ! » Ouais mec, il parait que je suis un foutu veinard... En entendant ça j'ai cru que je venais de prendre une balle dans la tête ! Il me fais confiance à ce point ? Je suis qu'un merdeux qu'à gagné son vaisseau au poker en trichant et qui s'en tire parce qu'il a une moule d'enfer à la fois isolante et imméritée ! Je tousse. J'ai envie de me faire tout petit, d'aller me cacher dans un trou et de plus jamais sortir... Je lui donne un grand sourire plein d'une assurance démesurée -et feinte évidemment- et je lui répond en lui tapant sur l'épaule : « Sans aucun doute ! Je suis une vrai patte de lapin ! T'inquiète ! ». Travis renchéri avec notre rituel des jours de pluie de merde noire.
« - Allé Lex ! Je mise quinze trônes qu'il rentre pas et qu'il reste à claquer là bas ! Je prend une grande inspiration, si on n'y croit pas, ça ne marche pas. Alors j'y crois, je mens, je me concentre. Je sors mon porte feuille et j'en tire quinze trônes que je balance sur la console de transmission devant moi.
- Pari tenu, Travis ! Et tu me devras le champagne ! » Ouais, il est magique !
Il y a Ariane qui me jette un sourire un peu inquiet par dessus son épaule, car elle a suivit la conversation et qu'elle doit trouver ça complètement con. Ariane, c’est mon Officier de transmissions. Elle bosse à bord du Betty depuis à peu près un an. Je l'ai tirée d'une histoire sordide dans une basse-ruche de Kevlan. Un canon, mais un nid à emmerdes. Elle est magnifique avec ses longs cheveux noirs qui ondulent et plongent vers un corps généreux. Mais Belle, j'ai pas la tête à te parler aujourd'hui, je n'ai pas besoin de ça... Je me tourne vers Killian qui vient d'entrer avec Otto sur la passerelle. Je m’arrête une seconde dans le délire suraccélérée de l'Opale et la panique mentale où je me trouve. Elle plonge ses yeux saphirs dans les miens. C'est comme si l'univers cessait de tourner. J'ai mal quand elle fait ça, mais les miens ne peuvent pas s’empêcher de supplier ses bras. Mon ancre, mon refuge, mon port d'attache... Elle constate mon état, son visage se fend quand elle fronce les sourcils et elle me sourit tendrement -comme avant- en s'approchant doucement. Elle pose une main sur mon épaule et me dit « Ouhla la, ça ne va pas toi. Tu veux que je te prépare le gâteau au chocolat ? » C'est le gâteau que nous préparait ma mère quand on était gosses. C'est devenu au fil du temps une sorte de baume. Un truc qu'elle fait quand elle a besoin de se -nous- réconforter. Un autre rituel qui porte bonheur. Elle s'inquiète vraiment, sa tendresse est authentique. Non, ça ne va pas. Te voir maintenant ne m'arrange pas. Si tu me touche c'est pire. Je veux l'embrasser. Qu'elle me serre contre elle. Je me contente d'un lointain « Je n'ai pas faim ». Je suis froid, distant, avalé par mes préoccupations, par la came et par l'idée de ces cercueils de malheur sous mes pieds. Je les entends vibrer, je peux sentir dans mes veines leur respiration brisée par la stase. Ces cœur ralentis, ces corps morts-vivants. Je tremble, je me tiens à la console j'ai la tête qui tourne. J'entrevois Killian sortir, prédisant avec la plus grande et la plus sincère des affections « Ça t'attendra ce soir... ». Je sens les deux mains d'Ariane se poser sur mes épaules, ses doigts me brûlent. Elle me demande si ça va. Moi j'entends les hurlements futurs de ces sept femmes dans leur boites mortuaires. Je peux sentir le froid mordant de la stase sur leur corps blancs, et j'entends les cris de Betty qui pleure ces âmes en sursis... Je vais vomir. Une goutte de sang. Merde, voilà que je saigne du nez. Je vire Ariane d'un geste brutal du bras. Ne me touche pas, dégage ! Je dis « Excuse moi ma belle. » avec une voix de menteur. Je m'en fous partout ça me fais chier ! Elle m'apporte une serviette. Je suis débordé par la colère et la culpabilité, je ne regarde pas ses grands yeux verts qui en pincent pour moi alors qu'elle se mord les lèvres. Je file me décrasser aux sanitaires les plus proches.


Je croise Otto qui monte à la passerelle. Je lui explique le plan. Le voilà reparti dans ses chiffres ! Il attrape son carnet et il commence à faire ses foutus calculs. Aucun de nous deux ne reproche à l'autre d'avoir dit oui à cette course. On avait besoin de ce fric. On se faisait présurer par Flint à propos des soldes tous les quatre matins et Betty a vraiment besoin de réparations !Mais aucun de nous ne sait, je crois, s'il aurait préféré continuer à se mentir jusqu'à ce que l'affaire soit pliée et les trônes encaissés -non-. Il me donne son résultat : 32,075 % de chances que mon pilote revienne ! En plus, me dit-il fièrement, il a ajouté mes 1 % de positivisme ! Je déclare solennellement comme à mon habitude qu'au dessus de 30 % ça se tente, facile. Il me met en garde de ses recommandations d'usage et démonte mes histoires de chance et de coup de veine. Je lui râle dessus en disant comme d'habitude qu'il va me porter la poisse avec ses calculs au rabais ! Je me rassure. C'est une discution qu'on a souvent mais aujourd'hui je ne veux vraiment rien entendre ! Enfin on discute un moment, d'autre chose, ça me fait du bien. Il est toujours là pour m'épauler, il ne relève jamais mon état, ne me fait aucun reproche et il est toujours arrangeant. J’échangerais ce type contre rien au monde. Quand je serai parti il prendra un verre. Il est aussi emmerdé que moi par la situation. Vu les saloperies qu'on a déjà faites dans notre vie lui et moi, on est raide sur l'idée de trafiquer de la « viande ». Commerce froid ok, mais pas au sens littéral, merci ! Je vois rouge d'être pris en otage et presque transformé en proxénète. D'un autre côté, si nous on prenait pas la course, non seulement on finissait avec une balle dans le dos, mais en plus quelqu'un d'autre de moins regardant aurait fini par la prendre. Finalement n'est-ce pas ça le coup de bol ? Que se soit tombé sur nous ?


Je passe mon après-midi à speeder et à me ronger les sangs avec l'impression oppressante d'être un marchand de mort... Vieux sentiment datant de l'époque où je dealait des trucs crades, pires que l'Obscura. C'est pour ça que j'avais arrêté et que j'avais taillé la route dès que ma mère s'en était sortie. Je regarde l'heure. Nom d'un Guiliam, j'ai aucune idée d'où est passée ma journée ! J'ai couru partout complètement surrexcité pour régler toute cette merde. Je suis vanné, je me sens déprimé -ça c'est la descente-. Quelle poisse cette histoire. Si je m'en tire ce coup ci, je sabre le champagne. Là ce qui me faudrait c'est les bras de Kill. Je suis con, ça va finir de me tuer comme cumul ma journée de merde, ma descente et Kill... Je ne peux pas me regarder en face d'avoir dans des boites de quoi divertir ces gros dégénérés. Je refuse de faire commerce de la chair et du sang de gens qui n'ont pas eu la chance de bien naître. Je ne changerais pas le monde mais si je peux ne pas participer à ça je préfère. J'ai le choix après tout. Libre-Marchand, tu parles ! Mais quel tocard je fais. Maintenant c'est comme si j'entendais leur suppliques, comme si leurs mains étaient sur moi, comme si j'étais à l’intérieur de leur corps. Maudit ! Je passe la main dans mes cheveux. Je me mords la langue. Ma chemise est tachée d'une auréole pâle. Le sang n'est pas parti et pourtant je me sens vide, hanté. « Bonsoir capitaine. » La voix rauque et traînante de ce vieux fantôme de Flint me surprend. Sa carcasse apparaît comme par enchantement dans un halo de fumée. Vision de l'enfer. J'ai mal au cœur. Le croque-mitaine balance nonchalamment ses membres artificiels sous mon nez en fumant encore son horrible cigare -toujours le même ?- qui répand une odeur de putréfaction. Celui-là, toujours à surgir des coins sombres comme un vieux souvenir coupable au moment où on est le moins armé pour le supporter. Trois ans que je le côtoie mais il n'y a rien à faire, il a ce « quelque chose » qui fait qu'il est lui... L'étrange, l'irritant, le glauque, l'inquiétant maître Flint... « Alors Capitaine... -il mâchouille le purin de son barreau de chaise- il parait qu'on est affaire juteuse. C'est les matelots qui vont être contents. » J'ai un haut-le-coeur. Je vais dégueuler s'il continue à me souffler son haleine et sa fumée au visage. Bon sang je n'avais vraiment pas besoin de cette réflexion là. J'ai un peu froid et je crève de faim, j'ai pas mangé de la journée : l'Opale... Celle que j'ai prise aujourd'hui était excellente mais ça ne fait pas tout. « Vous avez pensé à la prime, capitaine ? » insiste t-il en prenant un air énigmatique, renversant sa tête en arrière et passant la langue dans l'interstice trop grand laissé par une incisive manquante. Je lui répond sur un ton faussement enthousiaste que oui et que c'est une excellente journée ! Qu'on va en plus pouvoir faire les réparations sur le Betty qu'on attendait de faire depuis des mois en rustinant tout ce qu'on pouvait. « C'est bien, c'est bien... » fait-il nasillard en se mouchant on ne sait comment dans la pince mécanique qui lui sert de main droite... Ça me dégoûte, je m'y fais pas. Je retiens un spasme. Le voilà qui bataille sur les bruits dans les canalisations. Avant, il n'y avait même pas de flotte et maintenant ça chipote parce qu'il y a du bruit dans les tuyaux. Je sens qu'il va encore me sortir une histoire flippante sur des Guiliam qui vous bouffent les orteils la nuit, sur des écureuil des câbles ou sur le pont 9 qui est soit disant hanté... Je n'ai pas la tête à ça, je me sens suffisamment accablé par ma connerie. Pourquoi est-ce qu'ils m'enfoncent tous aujourd'hui ? Je me demande encore comment il a fait pour m'intercepter. J'ai envie de parler à personne. Après s'être plaint comme toujours de quelque chose de mineur et de très agaçant, il repart en claudiquant sur le piston qui lui fait office de jambe de bois. Ce vieux rat ressemble vraiment aux pirates des bouquins quand on étaient gosses. Killian voulait toujours être le canonnier, elle se collait une espèce de vieux bandeau sur l’œil, et moi bien sur j'étais le capitaine et j'avais un chapeau d'enfer, complètement improbable. J'éclate d'un rire un peu cinglé tout seul dans le couloir. Ma chemise empeste le cigare immonde de ce fou de vieux Flint. Je la retire, l'odeur me soulève le cœur. J'ai mal à l'estomac, j'ai faim.