Book de KaliCréations : Joshua Alexander Starr :: Le valet de Cœur : Trois nuits de lune pleine (Part 2)



Je suis devant la porte de ses quartiers. J'hésite mais je frappe. Je prend le risque de me faire finir à coup de batte, genre mise mort. Je me sens abattu, comme si je n'étais qu'une ombre. Mal au crâne, fatigué... Elle me crie d'entrer depuis l’intérieur. J'inspire profondément, mes poumons me brûlent. Je pense à ses nanas enfermées dans leur sarcophages gelés. Je frémis. Je suis tendu. J'ai les mains glacées, le corps brûlant. Je passe la porte et je m’assois dans la cuisine, au comptoir. Manie fait du recaf. Killian m'attendait. C'est marrant cette impression que ça me fais. Comme si je rentrais chez moi après une journée de travail routinière, toujours à la même heure, avec une femme qui m'attend. La mienne. Je me sens mieux. Je dois avoir une mine affreuse vue la manière tendre dont elle me sourit. Je pose ma chemise dégueue sur le dossier du tabouret. Elle dévore mon corps avec ses yeux de louve. On dirait qu'il n'y a que quand je suis dans un état lamentable qu'elle m'aime. Je sais que ce n’est pas ça, je la connais, mais je ne peux pas m’empêcher de me le chanter sur tous les tons. Ça m'enfonce. Elle me tend une part de gâteau. J'ai la tête entre les mains, je me sens très fatigué, j'ai la migraine. Je sens son regard sur moi, tendre comme il ne l'est jamais. Je le bois. Je lève les yeux et je soupire. Je la fixe, vidé. Manie nous souhaite le bonsoir, elle dit qu'elle va au mess. Je n'écoute pas, je me noie dans ma culpabilité. J'avale une gorgée de recaf, ça ne soulage pas la brûlure dans ma poitrine. « De la viande ! Fini-je par lâcher, affligé. Sept filles, raflées dans la sous-ruche pour servir d'esclaves sexuelles au Duc Debrecht. Moi, vendre des filles ! Et je le savais, je m'en doutais et j'ai rien dit. Comme si y avait une chance que cet enflure pleine de pus d'Oquintus ait pu dire une seconde la vérité. Je suis un tocard ! » Mon front frappe la table. Je me maudis d'avoir rien fait avant qu'on ne m'ait mis le nez dedans. Comme les chiens galeux et mal élevés, j'ai continué mon ânerie jusqu'à ce qu'on me mette le pif dans ma merde ! Je sens sa main vivante dans mes cheveux. Elle m'enlace pour m'offrir le réconfort chaleureux de ses bras. « Tu veux rester ? » Voilà... Couperet sur mon cou. Elle me dit ça parce qu’elle me voit sombrer. Elle veux racheter une vieille erreur depuis longtemps en saisie d'huissier. J'ai horreur de ça, d'habitude je tiens bon mais ça c’est trop. Je m'enroule autour de son corps. Je la respire. J'ai envie de m’allonger, j'ai la tête qui tourne. Je me shoote. Je suis épuisé. Il est tard. Je ne dit rien. Je la regarde. Je me sens seul. Elle le sait. Je me perds. Je m'en veux pour ce contrat. Je la regarde. Je resterais pour une mauvaise raison... Mais aujourd’hui, la poudre ne m'a pas suffit. Je la veux elle mais je me sens petit. Je sens l'élan de mon ancien romantisme m'envahir. Le parfum de son shampoing me charme, la douceur de sa main dans mes cheveux me ravive. Je me laisse faire, manipuler. « Oui... » J'ai perdu. Je passe ma main derrière sa nuque, j'ai faim. Je prise l'arôme de sa gorge. Nos regards se croisent et j'appelle ses lèvres. « Lit ? Canapé ? » Dit-elle, refermant le piège. Je salive déjà de nos corps dans ses draps, et je me lève sans pour autant quitter les perles d’agathe de ses yeux. Je recule vers la chambre tendant les bras vers elle. Elle frappe droit au cœur, et m'achève net : « Bien, je prend le canapé donc. » Cabot ! Chienne ! Je la déteste, attendre que mon échine sois courbée pour y planter une lame d'argent. Cruelle bête. Je fais demi tour, aussi froid que si j'avais été abattu en plein vol. Encore une fois elle me laisse mort-vivant après des promesses ardente. J'arrache ma chemise sale à son majordome improvisé et j’enjambe la distance qui me sépare de la porte. « Si c’est pour me torturer je préfère rentrer. Merci. » Appât pervers et chasse déloyale... Je fuis.
Je traverse la coursive jusqu'à mes propres quartiers et je la laisse sur son territoire, seule. Elle pourra pisser en rond comme ça. Tu n'as qu'à ronger tes os... La porte de ma cabine s'ouvre sur des pièces que je trouve trop ordonnées. Je jette cette foutue chemise dans un coin. Depuis le temps qu'elle m'emmerde. Mes pompes et mon pantalon ne tardent pas à suivre. J'attrape ma basse avec sa rage dans mes veines et me laisse tomber sur le dos, cafardeux. Je me sens con on dirait Bayron... Les premières notes de cette vielle chanson se confondent avec le son de Killian qui frappe à ma porte. Je m’arrête de jouer. Je sais ce que ça lui a coûté de me courir après, animal trop fier. J'hésite à la punir pour son jeu cruel alors qu'elle vient réparer l'affront. Je me lève. Je vais ouvrir. Elle était sur le point de repartir, fuyant mes notes comme des coups de fouet. Je l’accueille avec méfiance, à demi nu. Je retourne à mon lit et à mon instrument, lui laissant la porte ouverte. Elle s'allonge à côté de moi. Elle m'écoute jouer. Je lui avoue non sans rougir intérieurement que j'aime ça. Je la sens bien à côté de moi. Elle passe ses doigts chauds sur les lignes de la carte tatouée sur ma poitrine. La reine de cœur gravée à vie dans ma peau. Paradis... Mes doigts courent sur les cordes et je profite de ce présent qui durera jusqu'à demain matin avant de s'envoler de nouveau. Ce morceau, elle le reconnaît dès les premiers sons. Elle soupire : « Ah toi. Si tu me cherches... ». Je souris. Ce morceau là était pour elle, il a toujours été pour elle, il y a une ou deux autres vies. Elle est heureuse. Moi aussi. Tour de passe-passe superbe. Elle se redresse. Pour une fois il n'y a aucun mensonges dans mes yeux. Aucune rage dans les siens, elle est douce. Je la laisse me soigner, me nourrir, me sauver, me couvrir de ses intentions... C'est de ça dont j'avais besoin. C'est bien de ça dont j'ai toujours besoin. Elle me murmure au creux de l'oreille « Tu es un magicien Josh... ».


J'ouvre les yeux dans cette crypte qui me semble tellement plus claire ce matin. La pièce est baignée d'une lumière douce diffusée par les luminaires de ma cabine. Les vêtements de Killian jonchent le sol. Je rie intérieurement : son soutient-gorge est resté pendu sur le manche de ma basse, c'est ridicule. Elle est blottie sur mon torse, son bras droit ceinture mon corps ; le gauche contre ma poitrine est un peu froid. La dernière fois nous deux c'était il y a presque trois mois, après douze ans de séparation. Je m'abreuve du moment. La soif est partie. Je respire lentement, profondément. Je suis vivant, absout. C'est bon. J'ai pris tout ce que j'ai pu boire et pourtant je n'ai rien volé. C’est le moment que je préfère. C'est un peu tricher, un peu la piéger, mais la regarder dormir me permet de me sentir immortel. Je regarde le plafond et je m'imagine que tous les matins seront comme celui-ci. Un mensonge à ma propre destination. Je suis détendu. Je sais aussi que ça prendra fin tôt ou tard. Demain ? Dans une semaine ? A son réveil ? Voilà pourquoi je souhaite qu'elle reste endormie près de moi, avec ce sourire lumineux. Je suis de bonne humeur. Je respire ses cheveux longuement. Je savoure. Je passe les doigts de ma main droite dans sa chevelure blonde. Il est temps de lever l'illusion. Je préfère Kill brune. Je dépose un baiser sensuel dans sa nuque. Elle grogne en sortant de ses songes et resserre son étreinte, comme si j’allais m'envoler... Alors qu'elle m’agrippe, à peine revenue parmi les vivants, je presse ses formes arrogantes contre ma peau. Elle ouvre les yeux. Je l'embrasse sensuellement à pleine bouche et elle me suit. Quand nos essences se séparent à l'issue de ce baiser amoureux, elle me regarde en souriant. Ses yeux sont encore humides de nos ébats. J'y vois aussi le reflet de mes propres pensées : la terreur que l'instant s'enfuit. Je triche encore, je chasse cette vilaine considération par un sourire ardent. « Salut toi. »


Je passe une matinée radieuse, avec celle qui me possède. Nous discutons autour d'un petit déjeuné modeste. Je goûte enfin son gâteau, il est bon. Il est comme celui que nous faisait ma mère. Kill ne parle pas beaucoup, je raconte des histoires pour deux. Je romance, je brode, elle rit. Je suis super en retard sur la passerelle, Otto va me chier une pendule mais je m'en fous. Je prends le temps de l'embrasser avant de filer. On se dit « à plus tard. ». On verra bien si nous sommes au rendez-vous ce soir... Je chantonne en remontant les coursives les mains dans les poches. Pour l'heure on a une mission coton qui nous attend et il va falloir rester concentré. Je suis clean aujourd'hui, Otto a remarqué mon humeur et me jette un regard qui dit « mon pauvre vieux t'a replongé, ça va faire mal ». Il ne me juge pas. Cet échange silencieux n'a duré qu'une demi seconde mais il me connaît bien. Je souris à Ariane qui me salue avec réserve. Je me sens d'attaque, positif, j'ai confiance. Nous recalculons les possibilités avec Otto, que je finis par convaincre de positiver aussi. Nous sommes tous prêts, bon pied bon œil. On largue la première navette et je souhaite bonne chance à mon kamikaze. Je lui donne rendez-vous pour un verre de champagne à son retour ! Ce matin je me sens solide. Inébranlable. Je sais que ça va le faire. Ça ne peut que fonctionner, je suis en veine aujourd’hui ! Je suis la trajectoire de la navette maquillée pleine de libérateurs idéalistes sur la console de l'Auspex de Betty. Ils atterrissent sans encombre, maintenant ils sont seuls. Je regarde le petit pot dans lequel sont entassés les trente trônes pariés par Travis et moi la veille. Je souris encore. Un peu plus tard c’est à nous et nos cercueils de descendre. Ce qui me préoccupe le plus n'est pas tant la livraison en elle même, mais le déroulement des choses après la réussite de celle-ci. Et si on avait été éventés ? Et si ils n'y arrivaient pas ? Je ne crains pas beaucoup les éventuelles embuscades. Même si le trafic d'armes va sûrement bon train dans le coin, de ça on se tire, nous avons l'habitude. J'avais vu juste, les difficultés pour accéder au fief en question ont été mineures. Décidément le fameux destinataire a vraiment cet air de sale porc que je lui imaginais. Cette raclure de fond de cale se disait qu'en plus des colis il pouvait tenter de nous braquer Manie et Killian. Et je parle même pas d'Otto et de Travis qui en aurait bien crépit les murs de cette forteresse à la con ! Moi et les gars on était verts ! Je crois que sur le coup j'ai failli lui faire sauter le caisson mais je me suis dit, si on abat le grand copain de ce cher Oquintus, on est tous des cadavres en sursis... Alors j'ai expliqué cordialement au gars qu'avant de les forcer à aller dans son plumard faudrait déjà être en mesure de choper mon artilleuse augmentée et mon astropathe... Kill et Manie nous offrent une jolie démonstration. Résultat des courses le gars est tombé sur un putain d'os avec mes femmes. Je crois que la poulette y a été un peu fort avec ce cochon adipeux. Je sais pas bien ce qu’elle lui a balancé dans le crâne avec ses pouvoirs magiques mais il a blanchi à vue d’œil et je crois bien que son palpitant a momentanément foutu le camp. Merci Killian pour le stim', il aurait pu y rester et on aurait été mal. On est remonté assez vite, on a pas traîné sur place mile ans. Je crois qu'on est resté plusieurs heures -je ne sais pas exactement combien de temps- à fixer les Auspex et les hublots de la passerelle depuis le Lucky Betty, les yeux rivés sur l'atmosphère de Makabale à la recherche de la traînée blanche de prométhéum en fusion qui nous indiquerait qu'ils avaient pu revenir vivants... A un moment je crois que j'ai sentit la main d'Ariane serrer mon bras mais je n'ai pas vraiment fait attention. Je fixe le petit pot posé sur la console de transmission et je me répète : « Vas-y mec... J'ai parié sur toi, tu peux pas perdre. ». Travis joue les supporters autant qu'il peut et Otto me demande pour lui même : « Tu perds jamais Joshua, pas vrai ? » et moi je répond : « Mais oui mon pote, je suis un vrai porte bonheur ! » en me rongeant les ongles ! Et tout d'un coup on voit cette magnifique et salutaire traînée blanchâtre qui se dirige dans notre direction et c'est l'explosion de joie sur la passerelle ! J'attrape Ariane dans mes bras je la soulève du sol et je me retourne pour rouler un pelle à Travis ! Il grimace et crachote comme à chaque fois où je lui fais le coup. Trav' est toujours heureux de perdre nos paris désespérés pour invoquer la chance. C'est pas la première fois que je lui fais le coup. Je suis content, ça c'est une vrai bonne journée ! Je me sens bien, on s'est rachetés, on a le fric, on a niqué deux grosses enflures et le tout sans perdre un gars à nous. On ne se fera pas descendre par Oquintus parce qu'on a rempli le contrat. Les gars vont être payés. Betty va être chouchoutée. Cette raclure de Debrecht a pris sa déculottée en bonne et due forme. Les pauvres nanas ont été tirées de là et en plus y a eu peu de perte ! On s'en sort avec excellence.
J'ai envie de fêter ça ! J'ouvre le champagne pour mon pilote et je propose un streap poker pour le délire! Ils ne sont que trois à pas se dégonfler ! Mon petit veinard de la journée, Ariane -évidemment- et Manie. Bien entendu les deux premiers se font plumer mais la petite poulette est coriace ! Cette peste est télépathe et elle s'en sert pour lire mon jeu ! La garce, elle triche... J'adore ça. Joli, vraiment très joli bout de femme. Maintenant que je sais qu'elle lit dans mes pensées, je vais faire gaffe. Je ne sais pas si on peut filtrer, mais j'aime autant rester « fermé », ça m'arrange... Je reste un peu au mess. Elle va boire avec Otto, je la regarde se rhabiller. Ariane est mal à l'aise, elle file plutôt vite après la partie pendant que je jure au gars irrité que j'ai pas triché -c'est pourtant vrai aujourd'hui- mais il me croit pas. Je ris, c'est une bonne soirée et je ne suis même pas défoncé. Je respire à plein poumons et je profite.

Je quitte le mess un peu tard, peu de temps après la jeune psyker. Je la croise qui titube dans les couloirs, cherchant sa porte pour rentrer se coucher. Je lui propose de l'aide, elle n'en veut pas. Je la regarde zigzaguer jusqu'à ce qu'elle ne manque une marche et qu'elle ne se vautre. Je la relève, je la saisis par la taille et je la tiens fermement contre moi. Je pince les lèvres. Je voulais passer la nuit avec Kill, c'est là-bas que j'allais aussi, mais je ne voulais pas de prétexte. Ça m'emmerde, je ne veux pas qu'elle pense que j'utilise Manie ce soir comme un pass vers son lit... J'hésite. Je vais la raccompagner quand même. Alors que j'enroule mon bras droit autour de la taille gracile de la jeune fille complètement ivre, elle bat des bras, me mettant quelques coups de poings flasques trop engourdis par l’alcool sur le torse. « Me touch' pass toi ! 'Spèce d'obsédé jch' peux tu' à fait rentcher tut' cheul ' ... ». Mais oui bien sûr Manie... Alors j'acquiesce, je lui dis qu’elle a raison et je lui dit en bon menteur que je marche juste à coté et que je la tiens pas. Sa main gauche dans la mienne est moite. Je la drive jusqu'à chez Killian, j'ai l'habitude. Ce n’est pas la première fois que je pilote une fille beurrée. Je frappe à la porte. Quand ma moitié ouvre, elle trouve Manie dans mes bras, qui ricane, complètement confite. Kill me sourit, je joue les miroirs. Je la regarde un instant, elle est toujours là. Je suis heureux. Elle s'écarte de la porte pour me laisser passer avec mon petit colis tout cuit que je livre à destination. Je dépose Manie doucement sur son lit et je sors de la chambre pour laisser Killian la bordée. Je crois qu'elle l'a adoptée. C'est drôle, j'ai l'impression que j'ai toujours été là. J'attends dans le couloir. Je passe la main dans mes cheveux. Je patiente. Mon âme sœur sort de la chambre en refermant la porte derrière elle, doucement. Elle me sourit en secouant la tête. Je glisse une caresse sur sa joue. « Ce n'était pas calculé. » dis-je doucement en lui adressant ma plus grande tendresse. Je ne mens pas. Elle se rapproche de moi dans un « Je sais... » murmuré. Je ne veux pas la voler, je me sens trop bien qu'elle soit douce avec moi, je veux que ça dure. Je l'embrasse avec affection sur le front en respirant sa chevelure et je m'apprête à rentrer dans mes quartiers. Quand je tourne le dos, le contact de sa main sur mon bras m'ébranle. Elle me retient ! « Maintenant que tu es là, tu reste bien prendre un recaf... ». Je m'inquiète un instant de la présence de Manie dans la pièce à côté. Elle nous a déjà surpris la nuit dernière. Killian n'a rien remarqué, moi je l'ai entendue se tromper de cabine et ouvrir chez moi... Je cherche une connerie à répondre en faisant le malin, mais je me sens toujours d'humeur romantique plus que badine. Je me retourne pour lui faire face et change de direction, suave : « Avec plaisir, toujours... ». Que je reste lui fait plaisir également. Je suis heureux, j'y crois. Je m'enquière de la balle qu'elle a pris aujourd'hui lors du dernier allé-retour. Je n'aime pas quand on lui fait mal, quand elle se fait mal. Je n'aime pas quand elle saigne. Elle voit dans mes yeux que la manière dont elle se traite me blesse, mais je ne dis rien. Elle n'aime pas la façon dont je me traite. Je comprends. Je regarde le bandage à travers son t-shirt.
« - Ca va toi ?
- Oui, Crystale a fait du bon boulot. Elle est gentille. J’acquiesce. Je tends le bras et je caresse du bout des doigts la blessures fraîche à travers la gaze. Et puis c’est pas la première cicatrice. Ajoute t'elle.
- Non en effet... Je laisse ma phrase en suspend et je bois une gorgée de recaf chaud. Mais ce n’est pas une raison pour t'en faire d'autres pires. Elle rit, un peu gênée, un peu blessée et un peu triste. Elle me répond en détournant la tête.
- Je ne les compte plus. Je lui souris d'un air triomphal en faisant l'idiot pour remettre un peu de sucre dans son amertume. Je passe un doigt aguicheur et sensuel sur une des marques qui longent ses clavicules.
- Moi je pourrais les compter... Elle ricane, je la sens mal à l'aise, mais elle veut jouer avec moi. Je la désire.
- Ah oui ? -silence- Tu pourrais, oui... Elle s’arrête et elle plonge quelque part au loin dans les abîmes sombres en elle. Je veux la ramener. Je prend sa main. Elle me dit : Tu veux voir un film ?
- Tout ce que tu veux Kill, je suis tout à toi... Toujours... »

J’entends un grésillement lointain qui me tire du sommeil. J'ai un peu mal au dos. Je suis allongé dans le canapé et Killian est blottie entre mes bras. L'écran du lecteur grésille. Nous tombions de fatigue hier, j'ai du m'endormir. Je respire doucement pour ne pas la réveiller. La neige continue de tomber dans cette fenêtre aveugle. J'entends Manie se lever. Je ferme les yeux. Je prolonge l'instant, toujours. Tant pis, cette fois nous n'auront pas tenté de nous terrer pour nous consommer l'un l'autre. Nous sommes juste là, paisiblement enlacés. Je feins d'être encore endormi. Elle est belle. Briser ce moment sacré m'est toujours difficile. Chaque fois je crains sa réaction, je crains ses dents et ses griffes qui restent sages quand elle dort contre moi aussi sereine. Je sais que je lui vole ce moment pour qu'il ne soit qu'à moi. Je pèche par gourmandise. Je ne peux pas me retenir, j'ai trop besoin de cette sensation d'éternité. J’entends Manie qui prépare du recaf, prenant garde à faire le moins de bruit possible. Encore une seconde. Je sens que la fin s'approche. Le glas sonne au rythme des tasses dans l'évier. Deux jours de paradis rien qu'à moi. J'en veux plus. Plus ça dure, plus ça fait mal... A quel moment va s'évanouir l'illusion ? Belle endormie prise dans les filets de mes charmes et de mes sortilèges. Moi, piégé dans ses mâchoires d'argent. J'embrasse sa nuque. Elle frémit et se recroqueville, je l'étreins et laisse mes lèvres voyager dans son cou, sous la soie de ses cheveux d'or. Elle se retourne un peu pour me regarder. J'ouvre les yeux et je replace une mèche derrière son oreille. Elle plonge dans mes yeux grands ouverts. Elle sait que je suis réveillé depuis longtemps, elle me connaît par cœur. Ça y est, l'illusion est tombée. « Salut toi. ». Pas de sourire, juste un reproche amer : « Tu es réveillé, sale menteur... ». Je l'enlace tout de même. Non Killian s'il-te-plait, ne remets pas ta peau de bête, je n'ai pas bu ton sang... Elle ne me repousse pas et passe ses doigts de chair dans mes cheveux avec un geste amoureux. Je lui répond : « Toujours... ». Ce n’est pas pour ce matin encore, il me reste quelques heures à vivre. Elle se lève et se dirige vers Manie qui lui tend une tasse. Je délasse mes épaules endolories par une nuit passée dans ce divan à la retenir contre mon cœur. Je rejoins les deux femmes du côté de la cuisine. « Bonjour Josh' » me lance Manie sans aucun autre commentaire quand à la situation dont nous partageons le secret. Je suis gorgé de vie ce matin encore. Je regarde ma montre, je suis encore en retard et ça me fait rire. Otto ne m'en voudra pas et puis me coltiner Flint et son horrible cigare dès le matin j'avoue avoir du mal. Je prend un petit-déjeuné rapide avec elles deux et je file. Peut-être à ce soir Killian... Je rentre à ma cabine pour prendre ma douche et me changer. Il y a un malaise entre elle et moi, déjà je sens que l'odeur des monstres est de retour mais nous voulons pas encore croire que c'est le temps de la nouvelle lune qui revient... Je sors de leurs quartiers en oubliant volontairement ma tasse. Ce soir, j'aurai soif.

Me voici de nouveau accroché à ma source. J'approche de la porte de l'enfer : bouche avide qui avale mon âme et refuse de la rendre. Aujourd'hui était une bonne journée comme j'en connais de temps en temps. La poudre ne me manque pas. Je crois que ces jours là je suis inarrêtable. Je suis descendu voir Travis. Il est ravi de « ses petits connetons » comme il dit. « Je suis un gros connard et ce sont mes petits connetons ! » a t-il sorti fier comme un coq. Sacré Travis, j'ai ris parce que c'est exactement l'impression qu'il m'avait donné en les embarquant sur le quai il y a une semaine. Il m'a un peu tenu au courant du déroulement, je m'inquiète un peu. Il prend pas mal de risques avec le dogme, et si on a une inspection ça peut vite devenir très raide. Je le couvrirai, pour moi y a pas de lézard, ce mec est mon frère. Par contre les autres bleus du Mecanicus, je mets pas ma main à couper. Et si l'un d'entre nous tombe, on tombe tous... On aura l'air fin. Je regarde le métal de l'ouverture close et j'hésite à frapper... Manie n’est pas là, je l'ai croisée au mess avec Otto, ils parlaient de nous. Ils boivent trop. J'ai beau jeu tiens... Mon ami se fait de la bile pour moi. Moi pas, je sais que je vais ramasser. Peut importe en fait, je peux encore me faire croire que non, je suis un magicien. Je frappe. Je suis appuyé sur la cloison avec mon air ravageur du beau gosse de service et je la dévore des yeux à travers la porte. Oui ce soir j'ai soif et demain, je serai rassasié et damné. Elle ouvre, sourire carnassier aux lèvres. Même comme ça je l'aime. « Salut toi ... » Fait-elle, hyène vindicative. J'ai encore plus envie d'elle... « J'ai encore oublié ma tasse... » fais-je en l'incendiant du regard et en passant ma langue sur mes canines et ma main dans les cheveux. « Et on n'a pas vu la fin du film... ». Elle ricane, sauvage, je m'infiltre sur son territoire. Elle m'enflamme à son tour en me poussant contre le comptoir dans un assaut brutal de ses lèvres sur les miennes. « S'il te faut un prétexte, foutu menteur. » siffle t-elle alors qu’elle me détourne en agrippant le col ouvert de ma chemise, le déchirant presque. Elle m’entraîne alors vers son antre, femelle affamée de moi dans son odeur fauve. Elle me bouscule, je le pousse, elle monte à l'assaut, je l'envahie. C'est une guerre... Encore une. Il fait chaud. J'ai soif. Elle a faim. Nous nous dévorons. A chaque mouvement le feu lèche tout mon cœur. A chaque ondulations elle se consume. Deux scorpions qui dansent... Quand elle ploie sous moi elle se contorsionne comme un serpent à qui on aurait coupé la tête. Quand elle m'ébranle je me tends comme un pendu qui expire. J’étouffe, elle suffoque, mes dents dans son cou, ses griffes dans mon dos. De cet ébat cannibale, demain il ne restera rien. Rien d'autre que sa peau livide vidée par moi de son essence et ma chair arrachée par ses mâchoires d'acier. Quand j'entre à l'intérieur de son âme c’est pour moi un piège mortel. Quand elle goûte à mon corps c’est un poison vicieux. J'ai mal. C’est bon... Je me déteste, je la haie. Même comme ça je l'aime... Chaque centimètre de ma peau en contact avec la sienne entre immédiatement en fusion. Elle vibre de tout son être. Elle me vide de toute énergie vitale, je me venge en fouillant ses entrailles. Deux animaux mythiques et puissant se battent pour leur propre survie et déclenchent l'apocalypse en roulant jusqu'au bord du monde. Nous glissons dans l'abysse... Nous luisons de vie, plus forts, encore plus forts, sous les néons de cette chambre tamisée et rouge comme l'enfer. Non je ne suis pas le héros qui descend dans les entrailles du monde et combat le cerbère de la porte pour délivrer l'âme innocente et bafouée. Je suis l'âme damnée qui tente de sortir, toujours retenue par ce chien de guerre, enchaîné à la pierre glacée d'un tombeau où j'ai glissé sans elle... Amazone redoutable je me sens broyé sous tes reins. C'est ce que tu veux, planter tes serres dans mes flancs et me déchirer en deux. Soit ! Fais le, je te l'ai dis Kill, je suis à toi ! Mais tu vois déjà dans mes yeux ce que je vais prendre en échange. C'est ce que je veux moi, planter mes crocs dans ta gorge et boire ton sang jusqu'à en être rempli. Je te sens fondre pendant que je m'oxyde sous l'effet de la chaleur accablante de nos deux corps hystériques. Allons-nous incinérer ? Je me shoote au goût de ton sang. Tu t’enivre de ma chair. Nous tournoyons, entrelacés comme deux serpents qui se noient et nous allons nous dessécher, nous corroder et nous calciner jusqu'à ce que mort s'en suive...

Mes paupières lèvent le voile tombé sur mes yeux, sur les restes cramoisis d'un champ de bataille. Je suis seul dans ses draps. Elle est partie depuis longtemps. Les vêtements épars sont des collines en proie aux flammes. J’entends Manie dans la cuisine, qui fait du recaf. J'ai mal. J'ai la sensation que chacun de mes muscles a été labouré, violé, battu... Je me recroqueville en position fœtale cherchant à retrouver le réconfort de la chair dans l'odeur laissée dans le linceul qui me recouvre. Je suis nu, anémié... Amant porphyre abandonné après un dernier repas vampirique sur un parvis glacial. Pourquoi faut-il que se soit plus terrible encore à chaque fois ? Bête ravagée, créature sanguinaire... Trois jours magnifiques de pur paradis, rédempteurs. Envolés. J'ai prisé la plus blanche des drogues et bu avec délice la plus merveilleuse des liqueurs en toi. En échange, tu as fais des lambeaux de mon cœur déjà à crédit... Je ne le lui reproche pas, mais nous ne sommes pas tout à fait de la même espèce. Je sens les sanglots brûler ma gorge comme un acide. Spasme. J'enfonce mes doigts dans l’étoffe et crispe à en avoir les jointures blanches. Je serre les dents. J'ai mal. J'ai l'impression qu'elle m'a arraché la peau. « Josh' ! Recaf ! ». Manie m'appelle, elle me sent, il faut que je me lève. Je ne veux pas. Je voudrais n'avoir jamais été là. Je voudrais n'avoir jamais été ailleurs. Je me damnerais encore pour respirer un peu plus les effluves de ce fauve, juste quelques secondes, quelques minutes, quelques jours, une vie de plus... J'ai honte que se soit la jeune femme qui me réveille et m'appelle à travers la cloison et la porte que Killian a laissée entrebâillée. Je veux me cacher, disparaître, fuir en m'évaporant dans la nuit. Mais Dieu son odeur... J'inspire ces parfums comme si ma propre survie en dépendait, imprégnant tous mes pores de la mémoire de nos ébats carnassiers. Bon sang, c'est déjà terminé. Maigre banquet déjà pourri avant même d'avoir été consommé. Vidé. Oublié. Condamné. Écorché. Arraché. En-allé. Hier soir j'ai avalé et j'ai mâché ta chair sous mon corps et mes coups alors que tu broyais mes os, pompais et vidais les dernières forces de mon flux blême. Était-ce l'inverse ? Oui... Je ne sais plus vraiment. Nous sommes le miroir l'un de l'autre. Livides, arides, avides... « Josh', ça va être froid ! » Manie gueule, elle me presse... Je n'en ai rien à foutre. Elle m'a laissé là. Je suis la relique abandonnée d'un autel au rituel sanglant. Kill est une dépouille cannibale qui marche au jour. J'ai le goût de son sang dans la gorge et les marques de ses griffes dans les flancs. J'ai l'estomac remplis de toi et tes lacérations sur mon dos saignent encore. Bête mystique, bête cruelle, elle finit toujours par me casser entre ses cuisse et sous ses reins violents. Mais je ris aussi, car cela lui fait à peine oublier que mes crocs affûtés, affamés, sont plantés dans sa gorge et la boivent toute entière. Je lui imprime mon masque. Je prie pour ne pas la laisser exsangue, dépouille morbide, après mon passage. Je prie pour qu'elle ne me laisse pas pour mort sous les implacables coups de mortier qu'elle m'assène. Je la voile des oripeaux où je m'oublie, et elle, louve, m'inflige la morsure ardente de ses mauvaises nuits de pleine lune... Je me lève enfin. Je m'habille à peine. Mort-vivant.
Je m'assoie en face de Manie qui m'a gentiment servi le recaf est froid. Moi aussi. Je ne dis rien. Je ramène une mèche de cheveux en arrière et je me gratte la nuque. Je bois le liquide sombre en silence.
« - Crême, deux sucre. Me lance Manie aimable, espérant me faire plaisir et me remonter le moral.
- Merci, tu es un amour. Je ne peux pas m’empêcher de lui adresser un sourire charmeur.
- Comment ça va ? Me demande la jeune femme, un peu désolée. Ça va mal...
- Ça va. Peu dormi... » Je me contenterai de ça. Elle tord le nez.
Elle est très jolie. Au réveil encore plus. Elle porte le vieux pull à capuche de Killian. Ce truc a au moins quinze ans... Je la détaille. Je commence par ses yeux, c’est important les yeux. Ceux de Manie, sont grands, magnifiques. Un peu délavés. Elle me fait penser à une sorte de projection fantôme un peu fantasmée. Son petit nez se fronce, j'adore ça. Elle me fait craquer. Elle sent bon. J'inspire le vide cherchant à capter ses senteurs fraîches. Ses cheveux longs, clairs, je les imagine sur ce corps nu, retirant mentalement ces couches successives d'armure. Ils descendent en serpents d'or pour allumer le feu dans mon ventre. Lèvres fines. J'imagine leur goût. Je ferme les yeux et tente de retrouver la gourmande sensation du bout de mes doigts caressant avec envie son petit bras pâle au milieux de cette cours de non-morts enrubannés. J'ai faim. Je la fixe. Elle me parle. Je n'écoute pas. Je caresse de mes yeux vides la soie de son visage. Je boirais bien tout son corps pour ce seul éclat de jouissance que je devine en elle. Chair fraîche... Insondable progéniture. Mes lèvres se fendent, je me mords le poing et je sens dans ma bouche les crochets effilés qui me poussent vers cette jeune femme pleine de vie. Je me rends compte soudain que je me ronge les ongles et que je la dévore du regard comme un rejeton de l'enfer. Je tousse. Je baisse les yeux. Je la sens mal à l'aise. Je le suis aussi. Ma parole c'est une vrai contagion. Je prends garde à conserver les portes de mon esprit le plus scellées possible afin d’y éviter les infiltrations de la jeune télépathe. Elle me fuirait comme la peste sinon. Et elle aurait raison. Je me redresse en arrière. Je passe ma main dans mes cheveux, geste machinal de malaise. « Excuse moi, je suis mal réveillé. ». Je me lève, je reprends ma tasse oubliée là il y a plusieurs jours et je fuis vers l'ombre de ma crypte. Grotesque. Non, je ne tenterai pas avec elle cet entretien sordide. Elle n’est pas à moi. Il ne m'appartient pas de l'étreindre, de la changer en ce que je suis de malsain. Je pars me cacher dans la lumière. Il est temps de reprendre mes galons et mon costume. Pardonne moi Manie d'avoir laissé sur toi mes empruntes poisseuses, et je prie pour que tu n’aies pas passé le voile de mes pensées. Opale m'offre encore un doux rendez-vous. Ça évite à mes yeux de reprendre l’éclat de l'errance comme j'ai déjà quitté le port. Ça me sauve de la noyade et des éclats de diamants dans mon regard. Ça m’empêche d'aller ronger d'autres os, et d 'en faire des carcasses. Je respire le réconfort piquant et acidulé de l'Opale qui me tiendra debout aujourd'hui. Accessoirement, ça m'évite également de manquer de concentration en présence d'Ariane et d'aller venger mes amours cannibales dans sa gorge profonde... Elle qui ne m'a rien fait.