Book de KaliCréations : Joshua Alexander Starr :: Le valet de Cœur : A corps et à cri (Part1)

A corps et à cris. (Part1)

 

J'inspire profondément dans la pénombre de ma chambre. Je suis bien, détendu, en paix. Je souris les yeux clos, il fait bon. Pas d'insomnie grâce à la musique de l'âme près de la mienne qui a accompagné mon repos. L'odeur fauve qui flotte dans la pièce me rassure, l'air est moite, les effluves animales tièdes et les draps frais. La persistance du parfum de nos amours engourdis m'apaise après l'ivresse du corps et l'inertie du sommeil. Ça me remet la tête à l'endroit. Je devine la pièce sombre à travers mes paupières closes et pousse un soupire d'aise. Je l'entends respirer doucement près de moi. J'aime cet instant magique. Je roule sur moi-même dans mon lit encore marqué de nos ébats de la veille. Je lance mes bras devant moi à la recherche de mon autre moitié. Je tombe contre le petit corps brûlant qui a réchauffé mon âme et ma nuit. Ma bombe sent le soufre et le soleil. Un exotisme rare dont j'apprécie par dessus tout la saveur. Redoutable friandise. Quand j'ai croisé cette fille la première fois j'ai été capté par son magnétisme. Un flic. Moi j'aime un flic... A l'époque je pensais faire comme toujours, occuper ma nuit et m'arracher avant le petit déjeuner. Mais j'ai été accroché. Elle a été affectueuse, honnête, entière, puissante et surtout, jamais elle n'a été juge. Je me suis épris de son âme libre. Je crois que c'est la première fois que je n'ai pas menti quand j'ai promis de repasser la voir à ma prochaine escale sur son monde. Mais j'ai menti ce jour là quand je lui ai promis que je ne tomberai pas amoureux. Elle est différente. Ses gestes son tendres pour moi et son âme est sucrée. Son sourire a allumé l'enfer dans mon corps. Je me suis condamné avec plaisir, buvant à sa coupe la première fois, et je reviens à ce nectar encore. Je l'aime. Je l’aime car je la bois sans jamais l’épuiser. Je m'en nourris sans jamais qu'elle ne soit ma victime. Immortelle Zyx. Fille du soleil qui rend mon sang à mes veines asséchées. Je suis vivant. Et la créature de la nuit que je suis à ses côtés marche sans souffrir de la lumière du jour. J'enroule mes bras autour de sa taille fine et dessinée ignorant les cicatrices que je sens sous mes doigts. Je ne relèverai jamais les blessures qui font l'histoire de son cœur fragile. Elles racontent les hommes qui l'ont humiliée ou battue sans que jamais elle ne plie. Elle ne veut plus aimer. Je trouve ça triste, d'autant qu'elle est jeune et a toute la vie devant elle. J'ouvre les yeux sur un pièce plongée dans un désordre inhabituel. Les vêtements de cette fille jonchent le sol, ses menottes son encore accrochées au montant de mon lit, elle a posé ses holster à portée de main sur la table de nuit et je crois bien qu'un des fauteuils à définitivement cédé sous les assauts fébriles de valses noctambules. Je la serre contre moi pour ne pas qu'elle file. Je suis accroc pour ça aussi. Elle est trop libre, trop volatile, comme la poudre. Elle m'explose la cervelle dix fois plus fort qu'une putain de ligne ! Je respire son odeur de la base de sa nuque à ses cheveux et je sens la chair de poule piqueter sa peau. A Gunmetal City, sur Scintilla, la température ambiante doit avoisiner les quarante degrés, à bord d'un vaisseau il fait en moyenne vingt degrés de moins. Je souris : petite planétaire habituée à un climat trop hostile, tu souffres maintenant de trop douceur et de la sécurité qui règnent ici. Je prends soin de toi Trésor, réveille-toi ce matin avec l'assurance d'être heureuse et aimée. Je glisse une mèche de ses cheveux blonds derrière son oreille tendrement. Ma main glisse le long de sa joue, de son cou, son épaule et dépose une longue et langoureuse caresse jusqu'à ses hanches pour la réchauffer. Je remonte le drap sur elle et la serre encore de plus près. Le creux de ses reins et la rondeur de ses fesses épousent alors toute mon anatomie. Elle fait semblant de dormir, je le sais. Mes lèvres sur sa gorge sentent son poul s'accélérer depuis quelques minutes alors que je la tire du sommeil. Je joue le jeu volontiers. Elle se tortille imperceptiblement. Joueuse, provocatrice, elle a été avertie par mon membre traître. Je suis donc dénoncé... Soit, accusé d'effraction, hein ? Sous la couverture qui nous maintient au chaud je fais glisser mes doigts depuis le haut de sa nuque jusqu'au canyon de son bassin arrondi. Ma blonde se presse contre tout mon corps. Je rie en glissant une caresse risquée sur sa cuisse tendue. Je lui susurre à l'oreille d'une voix passionnée :« Salut, Bombita. » Elle simule un effroyable ronflement, gras et exagéré en pressant ses fesses appétissantes contre mon bassin. Je me fonds dans un éclat de rire franc, portant à son intimité une caresse ardente. Elle agrippe ma main en entrelaçant ses doigts avec les miens. De son autre main entreprenante elle s'assure encore une fois de mes dispositions... Oui Trésor, je suis là. « Hey, salut p'tit mec ! ». J'aime aussi sa voix. Je me réfugie à l'abri de son cou dans un soupir enfiévré. Désirable petite chose à la peau chargée de poudre noire et au goût de sulfure, je suis amoureux. Encore... Je la pousse à se retourner, à me regarder. Je veux voir ses yeux magnifiques sous cette coupe de cheveux de paille volontairement grotesque pour dissimuler une beauté brutale et primaire. Elle est magnifique. Je lui souris encore, en paix avec tout le reste de l'univers, en paix avec l'ombre de Killian et avec moi même. J'ai passé une soirée formidable, une nuit torride et ce matin elle m'offre son sourire d'emmerdeuse revêche que j'adore. On me l'a vendue acre et toxique, en vérité son miel adoucie mon âme et la lumière de son regard panse mes plaies. Je dessine le contours de ses courbes d'un air rêveur, plongé dans l'azur de ses yeux. Elle frissonne. Je sens l'expression de l'inquiétude se peindre sur mon visage plus que je n'aurais voulu le montrer. Je vois la chair de poule consteller sa peau de miel. « Tu as froid ma belle... » Je pose mes mains chaudes sur son corps dans l'espoir de lui transmettre ma fièvre. Elle me jette un regard de défi retenant, fière, un spasme. « Peut-être, mais tu peux sûrement faire quelque chose contre ça, p'tit Loup ! ». Me voilà acculé. A vos ordres Arbitrator Zyx, tout ce que vous voulez madame, je suis au garde à vous ! J'étouffe un éclat de rire par un sourire ravageur et elle me fixe, gourmande. Je l'attire d'un baiser ardent. Elle m'embrase tout juste et je me sens déjà calciné. Ma bombe se redresse et enjambe mon corps. Je sens son poids sur moi qui me clou à mon lit. Je regarde les lignes blanches dessinées par ses muscles. Je suis le tracé de sa plastique. Je respire l'odeur de musc qui émane de ses pores d'animal farouche. Je n'ai pas de mal à rester sage et soumis, elle me plaît. Je m'en remets à ton autorité absolue ma douce. « Tu es parfaite ». J'inspire bruyamment et renverse ma tête en arrière alors que je sens ses cuisses se refermer comme un piège autour de mon bas ventre. Son souffle explosif balaie toutes mes ombres.

 

Une douche c'est comme une nouvelle vie. C'est mon rituel. Ça me permets de changer de peau, de partitionner tous les rôles de ma vie pour y voir plus clair. Ça m'évite de me perdre et c’est mon assurance pour garder la tête froide. L'officier, le chef de gang, l'ami, le protecteur, l'amant, le frère, le fils... Ça c’est pour les fois où je n'endosse pas un autre costume : Alexander Driskhol par exemple. Certains jours ça fait beaucoup trop de vestes à superposer, il m'arrive d’étouffer littéralement. Aujourd'hui est une bonne journée. Je me regarde dans le miroir après m'être rasé et pas de monstre à l'horizon. Je me sens bien. J'examine mon tatouage sur mon cœur. Le « Petit Jonathan » a fait un très joli travail, la cicatrice est à peine visible sur la carte et la retouche est de qualité. Je lève le bras gauche et suis des yeux la marque qui fend mon torse jusqu'à mes côtes flottantes. La cicatrice est propre et nette. Elle ne forme qu'un léger rail blanc et rectiligne. Je ne me sens pas marqué par cette mésaventure et ce n’est pas ce que j'en retiens. J'ai un léger mal de crâne qui pointe derrière mes yeux et j'ai très soif. Je fais le tour de ma salle d'eau du regard. La baignoire est ornée d'aigles dorés à chaque pied et les vasques ressemblent à des coquillages géants. C'est grotesque... Gamin je ne me serais jamais imaginé vivre dans un luxe pareil et au milieu d'autant de superflus. Je n'aime pas cette pièce, elle est trop blanche, trop haute, trop lumineuse et ce miroir est trop grand. Parfois il me fait penser à une immense porte de prison qui retiendrait une bête curieuse et acharnée. Pas aujourd'hui. Et c’est comme ça depuis une semaine. Depuis qu'elle est arrivée. Zyx me fait du bien. En prêtant l'oreille je l'entends à côté. Elle prend son petit déjeuné au lit. J'ai horreur de ça, je vais devoir changer les draps encore fois. Les miettes... Ça m'énerve. Ça se glisse partout, ça pique, ça gratte. Je lui ai déjà dit trente fois de ne pas manger au lit ! Je sors de ma salle de bain vêtu du pantalon blanc à galons verts de mon uniforme, mon alliance toujours pendue à mon cou. Je regarde ma bombe massacrer mes draps propres et trop chers d'un air profondément agacé. « Zyx, Trésor... Arrête ça tu veux ? » Sa peau nue dans la soie fait contraste sur le rouge purpural de cette couche. Une goutte grasse et ronde de confiture dérive, bascule et s'échoue négligemment au terme d'un long suicide sur le couvre lit... Je grince des dents. « Oups ! » fait-elle de son ton d'emmerdeuse, ses seins nus reflétant la clarté des luminaires. Ses cheveux blonds sont lâchés pour une fois, ébouriffés, indisciplinés comme elle. Elle me sourit d'un air provocateur et me tend une tasse de recaf chaud. Elle l'a fait il y a quelques minutes. Je soupire, légèrement contrarié en enfilant ma chemise. Je retrousse mes manches, j'ai déjà trop chaud. Ma fixation s'envole dans le ciel de ses yeux de gamine cabocharde et se disperse. Tant pis pour mes draps... Je m'approche pour prendre la tasse et je l'embrasse comme si c'était ma petite amie régulière, comme si elle allait être toujours là, comme si j'étais encore capable d'être un homme fidèle. Ce mensonge est pour moi-même, ma jolie bombe, j'en ai besoin. Je t'aime Zyx, vraiment, mais c'est Killian mon ancre, mon port d'attache, celle vers qui je reviendrai toujours inexorablement. C'est mon amie, ma femme, ma sœur, ma maîtresse... Elle est la seconde part de mon âme. Tu retournes mon univers dans tous les sens par ta simple existence Bombita, mais Killian est avec moi. Elle est avec moi depuis la nuit des temps et elle m'accompagne, toujours, en tout lieux, en tout temps... Je dépose une caresse dans ses cheveux et j'avale rapidement le liquide sombre et sucré. Je lui adresse un clin d’œil. Je quitte la pièce et vais laver ma tasse immédiatement après en avoir terminé le contenu. Je fini de me préparer dans le dressing. Ce n’est pas l'ordre où je fais les choses habituellement. Ça me déstabilise, mon monde s'en trouve bouleversé. Cette fille bouscule tous mes rituels. Je crois que j'aime ça. C'est comme une respiration, des vacances et ça me rend heureux. Je range ma chemise dans mon pantalon, mon pantalon dans mes bottes, je passe le gilet que je boutonne à mi hauteur puis la ceinture. Je lance à l'attention de ma petite bombe : « Je file Trésor, à tout à l'heure. » son échos me revient aussitôt : « A plus p'tit mec ! ». Je traverse ma suite princière, bien trop immense pour un homme seul et sans compagnie d'ordinaire. Je rabats une mèche de cheveux d'un geste machinal. Je sors pour prendre la direction de la passerelle.

 

J'aime ces matinées où tout se passe à merveille, où rien ne cloche, où tout est en ordre. Pas une anicroche, pas d'imprévu, pas de foutu grain de sable dans le parfait mécanisme qu'est mon emploi du temps : tout roule. Le couloir est bien éclairé, il n'en est pas de même dans tout le bâtiment mais ici se sont les quartiers des officiers. Une série d'immenses suites ostentatoires et luxueuses. Chez les matelots on est loin de l'ambiance grand hôtel en revanche. Ce qu'on ne peut pas nier c’est qu'il y a de la place, beaucoup de place... Il faut vraiment embaucher, on est loin d'être à notre charge nominale. Je passe devant la porte de la suite qui abrite ma Princesse et je réalise que je l'ai assez peu vue ces deux dernières semaines. Je pensais que notre mésentente était passée depuis notre escale à Port L'Errance. Mais j’avoue que je ne comprends pas Killian. Elle ne sait pas ce qu'elle veut. J'ai vraiment pensé qu'on était réconciliés après que je lui ai fait mes excuses pour les maux que j'avais déclenchés entre nous le mois dernier. Elle avait raison d'être en colère après moi, j'ai vraiment été un sale con. Mais d'un autre côté Killian est une femme compliquée et elle a le don rare de me faire sortir de mes gonds instantanément... Quoi qu'il en soit, j'avais cru qu'elle ne m'aurait pas laissé seul et abandonné dans mon grand lit vide après une telle soirée. Mais elle m'a affamé, m'a aguiché et m'a congédié froidement en me claquant la porte au nez. Je ne comprends pas pourquoi elle m'a battu froid après m'avoir offert des chocolats dans l'unique but de me faire plaisir, de s'être reteint les cheveux de la couleur qu'elle portait autrefois et d'avoir porté la robe que je lui ai offerte à notre dernier passage sur Osguillam. Je croyais pourtant que nous étions de nouveau en bons termes, presque en phase. Oui, là je me leurre mais on peut toujours rêver. Je crois qu'elle me fuit bien que j'en ignore la raison. Je lui achète tout ce qu'elle veut, je prends soin de m'inquiéter de ses maux, je me plie à toutes ses volontés et ce n'est pas suffisant. Si j'étais deux fois l'homme que je suis, je ne serais toujours qu'à moitié celui dont elle a besoin... Je suis perdu avec Killian en ce moment. Ce n’est pas évident, nous avons changé en quinze ans. Mais en ce qui la concerne, elle et ses désirs, je ne comprends plus rien. Elle m'envoie des signaux contraires, j'en viens à me demander si elle ne veut pas simplement me faire perdre la tête. Manie sait au moins apprécier mes attentions sans se montrer avide ni ingrate. Elle me les rend également par ses amabilités : belle à mon bras. Bien sûr je reste frustré souvent mais il faut prendre en compte la situation et agir avec beaucoup de soin. Cette jeune femme est courageuse mais ses blessures sont fraîches. Je ne me permettrais ni ne permettrais à un autre aucune espèce de brusquerie à son encontre. Rien ne doit entacher le sourire de mon petit rayon de soleil. Je saurais donc me contenter de son contact entre mes bras et de la lumière de ses grands yeux perdus qui retrouvent leur chemin quand je la rend heureuse. Ce bonheur platonique me perturbe, je n'ai pas l'habitude.

 

Je monte sur la passerelle en empruntant le petit escalier métallique mais néanmoins outrageusement orné. Voici le terrain où tout ce joue. Les immenses arc-boutants jettent leur colonnes vers un plafond inaccessible et ceignent le disque où s’enchevêtre des nuées de câbles et de matériel électronique. Le dallage précieux dessine un échiquier sur le sol. Les motifs noirs et blanc en feuilles et végétaux entrelacés des carreaux donnent l'impression de se mouvoir lentement. Près de l'imposant trône de commandement surélevé le bloc tactique affiche une projection holographique de notre feuille de route. Un Aquila démesuré se déploie au dessus de la nef en vestige d'un temps révolu depuis des éons déjà. Ses deux énormes têtes pointent de chaque côté de l'estrade le regard perdu vers on ne saurait quelle destination. La passerelle de commandement est plutôt calme et chacun semble s'affairer à sa tâche. La lumière projette des tâches colorées sur le sol alors qu'elle traverse les vitraux ornementés qui s’élancent vers le plafond et toisent la petite foule agrippée aux consoles. Chaque chose est à sa place. « Seigneur Capitaine sur la passerelle ! » fait la douce et cristalline mélodie de la voix de mon charmant petit Maitre Vox dans son uniforme blanc et vert. Sa fine silhouette longiligne est soulignée avec élégance par le vêtement qui a été taillé pour elle. Le gilet de brocard vert lui aussi décoré de ses boutons et de ses cordelettes vermillon rend grâce à sa jolie poitrine et à ses hanches étroites perchées sur de longues jambes... Les Officiers se redressent et me saluent. Ça me sort des mes conjectures. J'inspire profondément pour ne pas marquer cette attirance et rester concentré. D'un signe de tête je leur répond et les enjoins à revenir à leur poste du même coup. Manie se retourne et me sourit. Ce rituel là est nouveau. Chaque matin quand je monte sur passerelle, elle se tourne vers moi et m'affiche le plus radieux des sourire. A cet instant je suis heureux. Je lui souris en retour, encore un peu plus amoureux aujourd'hui qu'hier. Je ne saurais plus désormais démarrer ma journée autrement. Elle tient parole. Tout comme elle l'a promis peu de temps après notre première escale sur Osguillam elle a toujours un sourire et un mot agréable pour moi. Ses longs cheveux blonds sont relevés dans un chignon trop épais. Il se voulait serré et austère mais cette chevelure dense semble toujours vouloir s’échapper. Je sens mon cœur accélérer et une cague de chaleur s'empare de mes entrailles. Je pousse un soupire discret. Elle revient à son terminal avec sérieux. Je continu une seconde de fixer sa jolie nuque alors que j'imagine l'odeur de sa peau. Je cherche Kill du regard et la trouve concentrée sur le terminal de gestion de l'artillerie. Elle est là, penchée sur sa simulation de tir, comme absorbée. Ses yeux veulent me fuir et je ne sais pas pourquoi. Qu'ai-je encore fais pour m'attirer sans cesse sa colère et son rejet? Elle prend soin de ne pas me regarder. Ce manège dure depuis une semaine. Depuis la transaction sur Scintilla c’est à peine si elle m'a adressé la parole. Ai-je dis ou fait une chose qui l'a vexée ? Peut-être n'a t-elle pas apprécié que je prenne sa défense contre l'autre raclure de fond de ruche ? J'imagine... Elle est forte et fière, elle a sans doute mal pris mon intervention et me bat froid depuis. Je sens la tension dans ses doigts sans savoir pour autant ce qui l'obsède. La lumière de son terminal luit de vert sur sa peau blanche et ça lui donne une allure spectrale. Ses yeux bleus restent fixes mais évitent avec soin les miens. Elle est loin. Elle ne me voit pas... Je me détourne et jette un regard sur la belle Ariane. Ses cheveux d'ébène ondulent dans son dos. La jupe qu'elle porte épouse ses formes avec une sensualité brûlante. J'ai encore en mémoire l'odeur de cette chevelure sombre Je frotte le bout de mes doigts à l’intérieur de ma paume. J'essaie de retrouver le souvenir du toucher de sa peau, de mes paumes sur son corps de miel. Ariane sent mon regard sur elle et me scrute un bref instant avant de retourner précipitamment à son devoir. Je passe le bout de ma langue sur mes lèvres, réminiscence de mes baisers à son intimité... Plus je la regarde plus je me demande quand elle voudra bien me pardonner. Ça m'a plu ce soir là d'avoir une amie, même quelques minutes. Le reste aussi m'a plu... Je l'observe évoluer au milieux de ses amies et collègues. Quelque chose cloche. Une drôle de configuration s'est installée. Ma vue est attirée sur la gauche par un manège curieux. Cheryl Jewel et Kimberley Lexon ont une attitude inhabituelle. Étrange. Ne sont-elle pas ses meilleures amies ? Ce drôle de balai dure depuis quelques temps et il s'intensifie sensiblement depuis récemment. Leur langage corporel indique un certain malaise, une gène ou peut-être une forme de rancune. Je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Cela fait quelques mois que ça galope sans que je puisse déterminer exactement ce qu'il se trame. Aujourd'hui c'est différent. C'est comme si l'odeur de l'air avait changé. Ça me colle une drôle d’intuition. Il y a quelque chose qui résonne à l'arrière de mon crâne. Je fronce les sourcils. Ça me dérange. Je passe la main dans mes cheveux et je grimpe jusqu'au trône de commandement. J'ai un tas de choses à revérifier. Avec Killian qui fait la gueule en bas la matinée risque de me sembler interminable ! Tu reviendras Princesse, j'attendrai le temps qu'il faut. J’essaie de ne pas m'attarder sur cette drôle d'impression qui me taraude. Maintenant que je m'en suis rendu compte ça boucle dans mon esprit et j'ai du mal à me concentrer sur autre chose. Dois-je prendre cela comme un signe visant à me faire comprendre que ma journée parfaite ne va pas durer ? Espérons que non. Heureusement mon petit ange aux cheveux d'or ne tardera pas à m'apporter un café. Pour l'instant rien ne bouge et c’est très bien comme ça.

Je remonte la courte distance qui sépare la passerelle de mon bureau. Pris d'un léger vertige je m'assure un instant à la cloison et je secoue la tête. Je vérifie l'horlogium à mon poignet. J'ai encore oublié de manger aujourd'hui... Sale habitude. Mon taf' sur la passerelle s'est éternisé et de toute manière je n'ai pas faim. J'ai encore un monticule de paperasse à dépêtrer dans mon courrier sans parler du compte rendu que m'a donné Otto. J'ai fait une très belle opération sur l'armement en provenance de Jotunheim mais je garde quelques as dans ma manche. Mais il faudra attendre que nous soyons plus gros pour ça. On y retournera tôt ou tard c’est certain. Je suis presque à la porte de mon bureau, plongé dans mes calculs à multiples zéros quand Travis m'intercepte. Il est blanc comme un cul et a une énorme valise violette sous son œil d'origine. Il tire une gueule de trois pieds de long. Ça lui file une trogne de putain de spectre à demi mécanique. Je me fais une vanne à moi même sur le « Technospectre » mais ce n’est qu'à moitié drôle... « T'as deux minutes ? » Lâche t-il à la va vite, un peu fébrile en jetant un œil derrière son épaule, puis derrière la mienne. Je devine à ce manège l'aspect confidentiel de cet entretien. Je fais aussi le tour du périmètre d'un regard. Je souffle en me prenant l’arrête du nez entre le pouce et l'indexe. J'ouvre la porte de mon bureau et le prie d'entrer d'un grand geste de la main droite. Il se glisse à l’intérieur comme si il avait un comploteur de l’Inquisition à ses trousses. Son air est grave et enfiévré. Il a la tête du type obsessionnel qui n'a pas dormi depuis des jours. Je connais ce genre de type... J'en suis un bel exemple. Nous entrons dans l'imposant vestibule couvert de tapisseries avant de pénétrer dans le bureau à proprement parlé. Les murs blancs et dorés sont tapissés de lambris peints. Derrière le massif fauteuil baroque et le bureau ostentatoire, s'étire encore un autre des ces aigles bicéphales, témoins de temps immuables. Ils devaient être déjà là à l'époque où le « Lucky Betty » s’appelait le « Reliquaire ». Je chasse vite cette pensée qui me ramène trop près du pont neuf... « Qu'est-ce que je peux faire pour toi Travis ? » Je pose une fesse sur le bord du bureau m'attendant à recevoir une nouvelle catastrophe en pleine figure comme à chaque fois que l'oiseau de mauvaise augure qui me sert de meilleur ami entre dans cette foutue pièce... Je fixe Travis qui est indubitablement à bout de nerfs. Depuis l'attaque de « petit frère » lors de l'incident Eldar il y a déjà plusieurs moi, il s'est montré particulièrement atteint et perturbé. On le serait à moins... Depuis il est bizarre. Même si Travis a toujours été un peu secret -je sais que c'est culturel !-, il n’empêche qu'en ce moment, il est suspect dans ses attitudes. Je le garde du coin de l’œil. Je fais semblant de ne rien voir et je me dis que ça passera. C’est sûrement le choc traumatique causé par cette affreuse et surnaturelle mésaventure dont ont été aussi témoin ma Princesse et les dix mecs qui y sont restés... J'irai voir Crystale dès que j'aurais une minute, il faut qu'elle lui fasse un bilan. Je ne voudrais pas qu'il me claque entre les doigts. C'est de pire en pire depuis notre retour de Jotunheim. Je lui avais pourtant dis de lâcher prise, de se calmer. Il ouvre la bouche pour me répondre. Ça y est, voici la fin de ma jolie journée parfaite. « C'est Killian... » Mon cœur s'emballe. Ma parole c’est une manie de m'annoncer toutes les cataclysmes de la pire manière possible ? Je l'attrape par sa putain de robe de chambre de techno-machin : « Quoi Kill ? Qu'est-ce qu'elle a ? ». J'ai l'impression qu'il vient de me filer un coup dans l'estomac. Je me rends compte que je l'agrippe alors je le lâche. Je suis pris d'un vertige. J'ai du mal à respirer. Je fais le tour du meuble et je m'assoie dans mon fauteuil. Travis comprend l'angoisse qui m'accapare alors que je le fixe dans son optique artificielle focalisé sur l'atroce réponse qu'il va m'asséner. « Non Lex ! C’est rien bro' ! Je me suis mal exprimé. Killian va bien. » fait-il précipitamment alors qu'il me voit paniquer. J'inspire. Mes mains tremblent. L'organe qui bat dans ma poitrine me porte coup après coup. J'expire. Je fixe toujours mon ami Technaugure dans l'attente de ce qu'il voulait dire, comme ci j'étais seul à pouvoir juger de ce qui est grave et de ce qui ne l'est pas. J'inspire. Il laisse planer un long silence et tripote la boite moirée qui décore mon bureau d'un geste nerveux et agité. J'expire. Ça va mieux. Je sonde son unique œil obsédé par une chose obscure et inconnue: un démon intérieur...
«
- C'est à propos de son bras... Je m’agace.
- Bon sang Travis, viens en au fait ! Qu'est-ce qu'il a ce foutu bras ? Je viens de taper du plat de la main sur le plateau du meuble de bois exotique et antique. Les objets posés dessus tremblent. Il s'ébranle, mais je sens qu'il fait son possible pour cacher le fond du problème.
- Je suis pas sûr Lex, il pince les lèvres. Je crois que ce bras est d'origine xéno-archéotech... Je fronce les sourcils et je grince des dents. Je sens que je ne vais pas piger la moitié de ce qu'il va m'expliquer. En fait, j'étudie la question mais je crois qu'il a de drôle de spécificités. Par exemple il semble qu'il ait un protocole intégré de... Je le coupe. Je vais craquer s'il n'est pas clair et tout de suite !
-
Merde Trav' ! Simple ! Je me frotte les yeux de la main droite et tapote compulsivement mon stylo sur la table de la main gauche.
-
Ok... Bon je me demande si ce truc n’est pas capable de générer sa propre gestion de maintenance technique... Je m’arrête, toujours le museau entre les doigts alors que j'étais concentré sur ses explications. Je crois que j'ai pigé.
-
Attend... Ma respiration est profonde mais entravée. Tu veux dire que le bras gauche de Killian se répare tout seul ? Je lève des yeux glacés par cette perspective vers mon ami au travers de mes mèches blondes.
-
Je suis pas certain je te dis. C'est bizarre. Mais je planche dessus ! Faut pas que tu t'inquiètes ! » Il ne faut pas que je m'inquiète ? Sans blague ? Il vient me trouver dans un état de fièvre mentale impossible et il m'annonce avec mile détours qu'il a un problème avec le bras de Killian après m'avoir fait un flan il y a deux mois sur cette histoire de réparation ! Qu'est-ce que ça cache ? Je pose mes deux mains à plat sur ce fichu bureau et je respire un grand coup. Je me lève et je le rejoins de l'autre côté de la pièce. La pièce bascule autour de moi, je prend appuis sur l'angle du meuble une seconde. Je tourne comme un lion en cage, je réfléchi. Travis attend que je dise quelque chose. Ou peut-être me laisse t-il une seconde pour mettre de l'ordre dans mes pensées. Je me sens irrité, impuissant, inquiet... Je me retourne vers mon ami et je le fixe l'air vague et contrit. Je passe une main pressée sur mon visage en rabattant en arrière les mèches qui me tombent sur les yeux. Je me frotte la nuque pour me détendre. Je ne vois rien que je puisse faire. Je n'ai pas de solution. J'explose !
«- 
Merde Travis ! Il y a deux mois tu m'a réveillé au milieu de la nuit complètement obsédé ! Tu as revérifié trois fois... Tu as dis que tout était normal ! Adamentus a dit que tout était normal ! Qu'est-ce que tu me chantes ?
-
Et bien j'ai eu un doute ! Il parle aussi fort que moi pour me ramener au calme. J'essaie de maîtriser la crise d'angoisse qui monte dans mon estomac. Alors j'ai vérifié encore une fois... conclu t-il plus tranquillement. Fais moi confiance je vais trouver. Il me saisi par les épaules alors que je renifle compulsivement. Mais elle ne risque rien pour le moment, ça j'en suis sûr. Dit-il. Je le sonde pour savoir s'il me ment. Il dit vrai mais il y a autre chose. Un problème plus profond le préoccupe. Je me calme. Je respire profondément. Je le crois. J'ai confiance en Travis, il est comme un frère.
-
Il y a quelque chose d'autre que je devrais savoir Trav' ? C'est une question piège. Je le fixe intensément pour qu'il ne s'échappe pas.
-
Non, rien. Pour le reste, les collecteurs ont été changés et les filtres ont tous été remplacés. Ça roule, te bile pas ! »
Ok... Il ne veut rien me dire. Je plisse les yeux, j'ai une foutue migraine. C'est son choix mais je ferai en sorte de savoir ce que c'est. Si ça concerne Betty, je dois être au courant. Si ça lui es personnel, c’est mon frère, j'aimerais qu'il m'en parle ; mais il a le droit de garder des chose à lui. J'acquiesce toujours un peu nerveux bien qu'en grande partie rassuré qu'il s'en charge en personne. Il recule d'un pas en me saluant d'un geste imperceptible de la tête, un peu ennuyé de m'avoir mis dans cet état puis se dirige vers la porte. Je m’appuie sur le montant de l'armoire vitrée où sont exposées des armes de collections. Je le regarde s'éloigner doucement. Je suis préoccupé par son état. Avant qu'il ne sorte je lui lance : « 
Hey Trav'… Repose-toi tu veux ? Lâche la bride ok ? » Parle-moi, mon frère... Il me regarde, reste là une seconde, hésite, scrute ses pieds puis me répond sur un ton laconique : « Un peu de surmenage, c'est rien. Je vais bien... Ne t'en fais pas. » avant de quitter les lieux.Je me dirige vers mon fauteuil et m'y laisse tomber comme une masse. Je donnerais un monde pour que Manie surgisse avec son bout du nez charmant et son immense sourire en dardant un « Café ? » de sa voix sautillante. J'inspire. J'expire. Je fixe ma pile de courrier en silence et empoigne mon courage pour m'y attaquer en jugulant mes pensées pour ne pas être obsédé par cette mauvaise nouvelle...