Book de KaliCréations : Urielle De Vulpe :: Notre-Dame des Bourrins : Bons baisers de Valhalla

Valhalla, monde hostile au cœur de glace. Elle était assise par terre comme il lui arrive souvent. Au milieu de la nuit, tirée du lit par ses cauchemars, Urielle venait régulièrement se réfugier dans l’immense dôme d'observation d'où elle pouvait explorer tous les monde de l'Impérium qu'elle souhaitait et revisiter ceux qu'elle avait connus autrefois. Même si elle avait vécu en spacienne au total plus de dix ans, il n'en était pas moins que la terre, l'eau, le vent et l'immensité du ciel faisait défaut. La pièce était gigantesque. L'interminable disque que dessinait le sol s'étendait n'importe où puisse donner son regard et se couvrait de parures magistrales. Le plafond était un paradis inaccessible de diamant synthétique. Le long des murs les plaques commémoratives de centaines de batailles s'alignaient avec leurs fresques épiques qui se déployaient, vestiges de la mémoires des combats héroïques d'antan. Les moirés des lambris illuminaient tous les ornements et l'impressionnante rose des vents qui habillait le parquet peint s'étirait lascivement de tous côtés. Urielle s'était allongée en son centre, bras repliés sous sa tête et fixait un globe blanc qui flottait au dessus d'elle. Vêtue de simplement un débardeur clair et de son pantalon de treillis noir, le bois était chaud dans son dos. Elle aimait venir ici quand le sommeil l'avait désertée. Les choses étaient plus que jamais compliquées pour elle. Le Légitime se dirigeait vers Scintilla et c'était la dernière étape de sa quête de souvenirs. Ses derniers jours elle avait passé trop de temps à fixer dans la glace la cicatrice qui fendait son visage en deux. Inutile de dire qu'elle était terrorisée à l'idée de trouver ce qui l'avait provoquée, à l'idée de découvrir pourquoi on l'avait effacée elle, et ce qu'elle fut. Toutes les questions qu'elle s'étaient posée depuis maintenant quinze ans étaient sur le point de trouver leurs réponses et tout son univers allait en être bouleversé. Elle avait peur. Elle ne craignait pas ce qu'elle allait trouver ni même d'avoir à se battre contre des horreurs ou contre elle même. Elle ne craignait pas ce qu'elle aurait pu avoir fait dans une autre vie, ou les répercutions que cela avait eu. Non, elle craignait que tout lui échappe.De ne pas être assez forte... Les événements allaient beaucoup trop vite. On lui avait mit des choses fragiles dans ses grosses pattes tremblotantes qu'elles ne pouvait ni échapper, ni serrer trop fort, et qu'il fallait veiller à ne pas laisser filer. Tout allait beaucoup trop vite. Et leur « Plan », et leur Nouvel Ordre, et Rapax, et Cal, et le gouverneur de Calixis, et Tanak, et Skorlak, et Naphilis, et... C'était une véritable panique intérieure ! Le sommeil la fuyait alors elle fuyait sa chambre. C'est ici qu'elle avait pu voir Ignasus quand ils avaient découvert cette salle oubliée. Ce projecteur holographique était une véritable merveille archéotechnologique. On pouvait voir n'importe quel endroit, on pouvait entendre la faune et le vent souffler. On pouvait presque marcher sur le sol de n'importe quel monde. C'était tout simplement magique pour la planétaire qu'elle était, malgré les dix ans cumulés passés dans l'espace. Ce qui lui manquait le plus c'était la chaleur, la texture du sable, l'odeur d'iode du bord de mer et surtout, le soleil sur sa peau.


Valhalla était bien différente de ce qu'elle avait connu d'Ignasus et de Sentinelle. C'était un monde froid, ravagée par les vents et la neige, une terre gelée sans été ni printemps. La température était bien en dessus de zéro et atteignait facilement les moins vingt degrés au soleil, et c'était le plus mauvais soleil qui ait été donné de voir. Un soleil blanc, qui enflamme la rétine et rend aveugle. Les hautes montagnes immaculées s'élevaient haut dans un ciel d'une blancheur inégalée lui aussi. Tout était monochrome. Difficile de distinguer la ligne d'horizon dans ce paysage couvert d'une chape fumeuse et opaque. L'air glacial semblait s'infiltrer dans le moindre interstice de vêtement. Elle se souvenait du vent qui arrachait les chairs et de la neige qui brûlait la peau à l'intérieur même des bottes isolantes. Quand on respirait, la vapeur du corps formait des volutes qui disparaissait dans l'air glacial. C'était comme marcher dans des vagues jusqu'au genoux à la différence que cette eau là était solide et mordante. Elle accrochait, elle résistait, elle vous happait quelque soit le mouvement que vous tentiez de faire. Toutes les couches que vous empiliez vous semblaient insuffisantes et lorsque que vous pensiez avoir atteint le bout du supportable, le climat vous faisait sentir qu'il avait encore de la créativité à revendre : la tempête se levait comme un démon qui sort du Warp... Les soldats tombaient les uns après les autres, non sous le feu des adversaires, mais par les conditions météorologiques locales. La plupart n'étaient pas équipés ou mal, face à une telle situation extérieure, d'autres n'avaient même jamais été entraînés à résister à des température extrêmes. Certains avaient, par un de ces fameux, faucheux, stupides, et pourtant fréquents mystères de l'Administratum, reçu leur dotation d'été car leur régiment dépendait d'un monde où le temps aurait du être au beau fixe. Ils avaient simplement négligé que ceux-ci avaient été affectés à une opération de pacification sur Valhalla... Alors on se débrouillait. Les plus altruistes partageaient leur équipement avec ceux qui avaient moins de chance. L'unité dans laquelle se trouvait Urielle semblait attirer la bonne fortune et, bénie encore une fois par l'Empereur, était équipée en conséquence et n'avait jusque là manqué de rien. Elle qui craignait le froid, plus veinarde encore que les autres, se trouvait souvent du côté du dispensaire à soulager les maux de l'esprit et de l'âme tandis que le Doc lui soulageaient ceux du corps. Cette campagne était rude. Beaucoup étaient rapatriés au camps dans des conditions déplorables, les membres nécrosés et creusés d'engelures. Impossible de fermer l’œil ces derniers jours. Dès que ses paupières retombaient, qu'elle était plongée dans le noir ou qu'elle avait le malheur de somnoler une minute croulant sous la fatigue nerveuse, elle entendait le bruit de la scie chirurgicale vibrer le long des os de son crâne. Tout n'était que glace ici. A peine trois semaines qu'ils étaient en place et c'était déjà l'hécatombe. Beaucoup étaient rapatriés bien trop tard pour pouvoir conserver l'usage de leurs membres et un certain nombre mourraient de septicémie ou congelés quelque part où on n'avait pu aller les chercher... Beaucoup de sous-officiers avaient fait remonter les demandes de matériels et visiblement les responsables restaient sourds. Dernièrement elle avait du négliger les confessions au profit d'un soutient inconditionnel auprès de ceux qui ne pourraient plus se battre. A qui avait perdu des doigts, à qui n'avait plus de pieds. Ce qui l'avait le plus frappée c'est que ces blessures là ne saignaient pas. Inutile d'espérer compter, bien entendu, sur la pose d'augmentiques quand on ne pouvait pas requérir de simples couvertures supplémentaires. Wolf restait auprès de ces hommes et femmes diminués, traumatisés dans l'espoir de parvenir à ramasser les derniers petits bouts d'eux même afin qu'ils n'y perdent pas leur âme. Et il y avaient les suicides, nombreux. Encore une fois l'unité maintenant dirigée par Ian, qu'elle devait désormais appeler « Capitaine Virborski », était relativement épargnée par ces cas extrêmes. Le contingent était soudé et les hommes et femmes de ce régiment se soutenaient mutuellement. Beaucoup parmi eux étaient croyants et pratiquants, ou l'était devenus au contact de l’aumônière Urielle Wolf, et le moral était plutôt bon par rapport à d 'autres unités de leur connaissance. Même si les hommes du Commissaire Armand Guerren s’estimaient miraculés de manière générale, ils n'en étaient pas moins sensibles à la détresse des unités moins bien loties. Urielle recevait même en confession des types qu'elle ne connaissait pas et qui dépendaient d'un autre aumônier. Ce n'était pas si fréquent mais cela arrivait de temps en temps.


Urielle ne supportait plus de voir le Doc -quel était son nom déjà?- scier et amputer des membres à longueur de ses putains de journées. Le pauvre homme était à bout de nerf, à bout de fatigue et à bout de force. Il était parti se reposer un peu alors qu'une accalmie s'était déclarée et qu'il pouvait laisser les sœurs hospitalières faire les menus soins. Elle était en colère. Il lui arrivait le soir, depuis les baraquements où elle rejoignait Ian et les autres, de regarder vers le castel que les officiers supérieurs avaient réquisitionner pour leur confort et elle hésitait longuement à aller leur parler en face des véritables problèmes qui se posaient et de leur urgence. Elle ne voulait pas s'attirer d'ennuis et encore moins en attirer à Guerren. Si ça continuait le pauvre homme serait persuadé qu'elle lui en voulait personnellement pour le persécuter à ce point avec son indiscipline crasse. Il l'aimait bien au fond, et elle, même s'il n'en voulait pas, tentait de lui apporter tout le soutien possible. Elle avait beaucoup de peine pour lui, c'était un brave type qui avait fait toute sa vie un boulot de con. Il traînait derrière lui des casseroles en fonte et tôt ou tard ça lui pèserait tellement qu'il en crèverait... Urielle adressait régulièrement une prière et brûlait un cierge pour Guerren quand elle s’arrêtait dans une chapelle. C'était un homme très seul et les rares fois où elle avait essayé de lui apporter sa compagnie il avait fuit comme si la peste lui courrait après. « J'ai un problème avec l'écclériarchie. » avait-il fini par confesser un jour. Urielle en aurait même retiré son habit si cela avait pu permettre à Guerren de parler à un autre être humain... Alors qu'elle était plongée dans ses pensées une autre vague de blessés arrivait au dispensaire. Les sœurs commencèrent à s'agiter. Urielle décida de fuir, prétextant qu'elle allait chercher le Doc qui dormait dans son bureau sur un lit improvisé entre deux chaises. L'étape du triage était ce qu'elle supportait le moins : décider de qui serait sauvé et qui ne le serait pas parmi les agonisants. Elle passa la porte aussi doucement qu'elle put mais l'homme endormit se réveilla en sursaut instantanément, tendu par le stress. Le Doc la regarda fixement en plissant ses petits yeux de fouine. Il se saisit de ses petites lunettes rondes qu'il vissa sur son nez pointu. Il lissa son épaisse moustache alors qu'elle restait sur le pas de la porte, mal à l'aise. « Oh Wolf ! Je me disais aussi... Y a pas trente-six tête de cons de deux mètres aussi peu discrètes dans les environs qui vienne interrompre mes maigres heures de sommeil. ».Urielle plissa le nez et frotta la cicatrice qui fendait son visage d'un air renfrogné en émettant ce son sourd et profond qui s 'apparentait à un grognement de contrariété à défaut de réponse. Le petit homme maigrelet et bourré de tics nerveux se leva de sa couche improvisée et se moucha bruyamment. Elle restait plantée là. « Et je vous l'ai déjà dit, ne grognez pas comme ça on dirait un grox... » Lacha t-il cinglant avant de s'inquiéter enfin du motif de sa présence. La jeune femme soupira bruyamment et dit sans fioriture que les nones faisaient le tri... Le moustachu prit un air résigné et ramassa ses affaires en grommelant. Il parlait souvent tout seul et ronchonnait après le monde entier. Le Doc était toujours cinglant et désagréable, à croire que tout ce qu'il avait fait et vu durant les diverses campagnes auxquelles il avait participées avaient eu raison du moindre espoir. Ce n'était pas qu'il était méchant ou d'un naturel rageur, mais Urielle pensait qu'il avait simplement du oublier comment faire autrement. Cet homme payait très cher chaque jour tout le bien qu'il faisait. Pour lui aussi, et pour son salut elle priait. Elle le regarda un moment alors qu'il examinait ses mains de chirurgien trembler un peu à cause de la fatigue, attraper sa flasque d'amasec et en avaler une grande rasade. Elle pinça les lèvres dans un infini sentiment de compassion... Elle s'écarta de la porte alors qu'il la traversait à grande vitesse sur ses petites jambes maigrelettes en râlant après tout et tout le monde. Il lui arrivait à peine à la poitrine et il se tenait toujours courbé, comme une sorte de lutin étrange. Il fila comme une comète vers la pièce des urgences du dispensaire en dispersant les sœurs comme une multitude d'abeilles indésirables... Urielle sortit son livre de psaumes de son escarcelle et le serra entre ses mains en secouant tristement la tête. La journée allait être longue...


L'homme venait de pousser son dernier soupir. Ce jeune soldat d'environ vingt-cinq ans avait à peine plus de son age et c'est entre ses mains qu'il venait d'expirer. Le rituel était toujours presque le même. Brève confession où elle envoyait au warp le solennel, rémission des ses péchés mortels, dernières volontés, extrême onction... L’aumônière préférait de loin quand les choses se passaient ainsi au lieu de ces abominables derniers sacrements de masse, quand les morts étaient trop nombreux, trop loin et trop en pièce pour qu'on puisse faire mieux que cela. Elle ignorait même avant la Garde impériale que des rituels de masse existait, elle avait été choquée de l'apprendre la première fois qu'elle avait ouvert le livre de psaumes. Puis ensuite, elle avait connu ce rituel par cœur... Cet homme ci avait définitivement succombé aux affres du froid. En lui apposant l'Aquila sur le front au dessus de ses yeux fraîchement fermés, une main sur son cœur elle psalmodia : « J’offre ma vie à l’Empereur et je prie pour qu’Il l’accepte. J’offre ma force à l’Empereur et je prie pour qu’il s’en nourrisse. J’offre mon sang à l’Empereur et je prie pour qu’il étanche sa soif. J’offre mon être à l’autel de la guerre et je prie qu’Il me donne une noble mort. Je prie pour Sa protection et j’offre tout ce que je suis. Vas en paix mon frère... » Une prière de soldat, une prière de Guerrier... Elle resta un moment au dessus du lit médical stationné dans le couloir au milieux des autres, morts ou vivants. Ses doigts s'enroulèrent autour du montant métallique alors qu'elle priait en silence pour que l'âme de ce combattant rejoigne la lumière de l'Empereur-Dieu. La porte du chirurgion s'ouvrit derrière elle laissant passer un autre lit. Une sœurs toute vêtue de blanc recouvrait rapidement le corps d'une jeune femme qui sortait tout juste du bloc, pendant qu'une autre poussait le lit vers d'autres pièces. La fille devait avoir tout juste dix-huit ans. Le froid lui avait retiré définitivement l'usage de ses doigts, certains étaient même tombés, et son corps était désormais mutilé à jamais. La nome rabattit le drap blanc sur les pansements refermant les jambes de la fille qui cessaient maintenant à mi cuisse. Urielle déglutit difficilement et son visage se couvrit d'une expression hybride de colère et de douleur. Elle suivit du regard le Doc qui sortait en marmonnant, tremblant comme une feuille. C'était la dernière de la journée. Il avait passé plus de douze heures là dedans... Le petit bonhomme lui rendit son regard en secouant la tête d'un air las. Il palabrait dans ses moustaches de manière inaudible. Il tituba un instant et s'appuya au mur pour ne pas tomber. Wolf lui servit de béquille jusqu'à ses quartiers pour s'assurer qu'il serait couché. Le pauvre homme s'écroula littéralement d'épuisement. Elle lui retira ses bottes et le recouvrit avec la couverture avant de sortir avec les pas les plus légers dont elle était capable. Arrivée dans le hall des urgences, elle revêtit de nouveau son attirail anti-froid et s'apprêta à rejoindre les baraquements. A peine avait-elle mis le nez dehors que le vent s 'engouffra dans ses poumons à travers le masque de protection. La brûlure était mordante et tout son corps frémit. Elle fit quelques pas dans la neige. A chacun d'eux elle avait l'impression de s'enfoncer plus encore dans un sol qui n'en finissait pas de changer de forme. Elle plissa les yeux. Devant elle, elle distinguait les blocs gris de préfabéton accrochés les uns aux autres, qui formaient une masse compacte dans l'air rendu opaque par la neige et les bourrasques. Une lueur chaude attira son attention plus à lOuest et elle entrevit la haute silhouette du castel. Elle s'immobilisa dans la nuit blanche et hésita un instant. Elle avait promis à Guerren que ce coup-ci elle serait mignonne. Il avait dit « Pas de bagarre ? », elle avait répondu « Pas de bagarre ! ». Elle fronça les sourcils, contrariée, avant de reprendre sa route vers ses quartiers où l'attendaient sûrement ses camarades. Tout était gelé ici, jusqu'au cœur des hommes... Après tout étais-ce tant demander que quelques couvertures et des vêtements pour que des Hommes cessent de mourir pour rien ? Était-ce tant demander que l'on leur fournisse des équipements adéquats ? Était-ce tant demander à ce monde injuste de, pour une fois, faire les choses correctement afin que des vies ne soient pas bêtement gaspillées ? Était-ce tant demander quand on sert l'Empire avec ferveur et fidélité d'être vêtu et nourri chaque jour ? Bordel, la Foi ne faisait pas tout, il fallait aussi que ce ramassis de nantis lève leur cul de leur phalanges qu'ils avaient tous bien mis au chaud dans leur rectum ! La main couverte de ces énormes gants resta en suspend au dessus de la poignée de la porte d'entrée des baraquements. Elle repensa au Doc qui s'épuisait jour et nuits, à ses membre coupés par dizaine à la chaine, à tous les cadavres en suris qu’elle avait vu passer et à ceux qui n'étaient jamais repartis, aujourd'hui, hier, et avant hier, et encore avant... Elle poussa un profond grognement de colère et fit volte face en direction du castel laissant un large sillon dans la poudreuse.


Urielle Wolf poussa les battants de la double porte de bois massif dans un fracas auquel elle ne s'attendait pas. En traversant le castel jusqu'à l'étage où dînait le Colonel Varl Coldsmith en compagnie de ses officiers on avait bien tenté de l’arrêter mais sa détermination l'avait fait tracer une trajectoire directe jusqu'à la pièce où ils étaient installés sans autre forme de convenance. Maintenant elle était là, debout dans le colossal chambranle médiéval avec le silence de la pièce taillée dans la pierre et les yeux perçant des officiers tous braqués sur elle comme une batterie de Basilisks... Ce n'était pas le moment de se dégonfler. A cet instant elle se rendit compte à quel point elle était inopportune, et difficile de rentrer la tête dans les épaules quand on fait presque deux mètres, qu'on parle plus fort que tout le monde et qu'on vient de quasiment enfoncer une porte. Qu'à cela ne tienne, maintenant elle était là et elle dirait ce qu'elle avait à dire. Il faisait chaud à l’intérieur de la grande pièce. Devant elle une grande table pareille à celles, interminables, des monastères, en bois massif, avait été dressée. La bouche géante de la cheminée crachait la chaleur d'un feu rond et imposant dans toute la pièce. Il faisait bon. Sur la table s’étalait dîner chaud, consistant et abondant. Les odeurs de viandes rôties et de soupe se mêlaient au parfum du feu de bois qui embaumait la pièce. Ses yeux s'humidifièrent sous la brutalité du changement de température et ils croisèrent ceux du Colonel qui la fusillaient. Il y eut un moment de flottement et celui-ci se redressa dans son haut siège rembourré, reposant dans son assiette sa fourchette avec au bout le morceau de viande rôtie et dorée qu'il s’apprêtait à déguster. Urielle déglutit et s’avança, droite, sans briser l'image de son infinie volonté mais avec l'envie de filer se faire toute petite quelque part ailleurs... Loin. Elle s'approcha jusqu'au bord de la table où elle fit face au Colonel Coldsmith abasourdi par cette outrecuidance. Varl Coldsmith était un homme encore assez jeune et surtout bien né. Avec sa petite trentaine, sa petite moustache châtain et ses yeux noisettes, il avait encore le visage frai et une chevelure dense. Il portait un uniforme largement décoré de récompenses honorifiques et pourtant celui-ci avait rarement vu un terrain d'opération. Urielle serrait les poings alors qu'il la dévisageait d'un air hautain en passant sa langue sur des dents pour éviter une miette qui viendrait écailler son petit sourire narquois et supérieur. La jeunes femme inspira profondément et plongea ses yeux bleus dans ceux plus sombres de son interlocuteur. Plantée sur ses deux pieds elle n'avait pourtant pas l'intention de l'agresser ni de lui manquer des respect, mais c'était malheureusement déjà fait. Perdu pour perdu, autant dire ce pour quoi elle était venue.
« - Monsieur... Colonel. Je viens vous voir parce que...
- Pour quoi, Aumônier ? Qu'est-ce qui vous permet de faire irruption à ma table ? Coupa t-il sur un ton péremptoire. Après un court silence elle fronça les sourcils et elle frotta nerveusement la cicatrice en travers de son visage. Au bord de l'incrédulité, entre rage et supplique elle poursuivit quand même :
- Je viens vous voir parce qu'il faut demander un réapprovisionnement d'urgence en vêtements de froid et en couvertures, monsieur. Les gars crèvent de froid. Littéralement. » Elle avait hélas fait là preuve de toute la diplomatie et de toute la réserve dont était humainement capable. Elle respirait fort, toujours campée sur ses deux pieds comme si elle s'était amarrée dans le sol avec l'intention de n'en bouger que lorsqu'elle aurait eu gain de cause. Elle se figea quand il se mit à rire. Son sale ricanement fut repris comme un canon par son assemblée de pantins endimanchés dans leurs uniformes de lèches bottes. Elle était incrédule de voir une telle réaction. Elle s'était dit évidemment qu'ils n’apprécieraient pas d'être dérangés mais pas qu'ils lui riraient au nez à propos d'un sujet si crucial que la mort des hommes qu'ils menaient au combat. Sa respiration se fit plus forte et elle pouvait sentir son poul s'accélérer, les fourmillement dans ses mâchoires remontaient le long de ses os et elle se sentit blêmir alors que ses poings se serraient avec plus de pression encore. Il lâcha « Ils meurent de froid ? Qu'ils chargent ça les réchauffera ! » Ce fut comme un coup de poing ! Ses tempes explosèrent. Un voile écarlate recouvrit son champ de vision. Elle prit une profonde inspiration et un grondement rauque sortit de sa gorge alors quelle attrapait les rebord de la lourde table des deux mains en poussant un hurlement de rage. La force poussée par la hargne, elle renversa violemment le meuble de bois massif sur le Coldsmith dont le fauteuil bascula en arrière sous le poids. Sa tête vint cogner le rebord de la cheminée de pierre. Le fracas se répercuta le long des murs quand le siège céda et que Varl Coldsimth se retrouva clouer au sol par une table de plusieurs dizaines de kilo. D'un mouvement vif malgré sa corpulence elle sauta par dessus cette barricade pour atterrir près de l'homme encore sonné par sa chute. Abreuvée par la haine qu'avait générée une réponse aussi inhumaine, Urielle lui envoya un énorme coup de botte à la tête, décrochant ses maxillaires de leur axe dans une gerbe sanglante. La soudure de l'os de ses mandibules éclata. Elle saisit ensuite une chaise à pleines poignes avant de la lui écraser sur le torse. C'est avec le dernier pied entier de celle-ci que Wolf termina de lui refaire le portrait. Cela n'avait duré qu'une seconde profitant de l'hébétude de l'assistance. Cela passé elle fut rapidement maîtrisée par les autres. Elle ne tenta pas de se débattre. Une énorme veine pulsait sur son front. Plaquée à terre par trois des officiers présent elle regardait en silence le Colonel cracher des petites bulles de sang et quelques dents. Le liquide vermillon se rependit doucement sur les dalles claires du sol devant le feu de la cheminée. Elle ne se débattit pas même un instant. Elle attendit simplement, en fixant les flammes dont la danse et le calme hypnotique l'apaisait.


Quelques minutes plus tard c'est le Doc et Armand Guerren qui débarquaient, accompagnés d'un certains nombre de soldats. L'un se précipita vers Coldsmith alors que l'autre attrapait Urielle par le col sans ménagement pour la redresser. Elle avait repris son calme et s'en voulait d'avoir démoli ce type à ce point. Armand Guerren la fit se lever en la secouant comme un tas de chiffon alors qu'elle avait été menottée par les officiers présents en attendant l'intervention du Commissaire.Elle se laissa faire. Elle baissa ses yeux coupables vers les chaussures parfaitement cirées malgré la neige du Commissaire Guerren, en silence. Lui coupa court à toute explications, toute revendication ou à tout témoignages avec des injonctions incontestables. Il connaissait l’aumônière Wolf par cœur, il savait très bien ce qui s'était produit. Elle renifla en se mordant la lèvre intérieure. Il pousseta un peu de neige sur l'épaulière de son uniforme, rajusta sa ceinture et fit un signe impératif à Urielle de sortir. Elle jeta un regard inquiet et désolé au Doc qui était absorbé dans les premiers soin de son patient nocturne. Guerren la poussa, son bras tendu à l'index injonctif planté vers la porte ne souffrait pas de contestation. Les mains dans le dos elle le précéda docilement, l'air renfrogné, le nez vers le dallage de pierres, sans moufter. Elle entendait ses pas assurés derrière elle alors qu'ils descendaient l'escalier magistral. Ils résonnaient dans tête au rythme de sa propre culpabilité. Elle regrettait d'avoir été si violente, d'avoir presque tué cet homme sur un coup de colère -si justifiée soit-elle-, mais en aucun cas elle ne regrettait le geste, et c'était bien là tout le problème. « Désolée. Je suis un peu soupe au lait... » se hasarda t-elle sur un ton misérable. Mince, pourquoi fallait-il qu'elle dise toujours des truc aussi stupides ? Elle détestait causer des problèmes au Commissaire, et elle savait qu'un membre du Ministorium qui fracasse un Officier supérieur ce n’est pas qu'un petit problème... Au yeux de l'Armée, il devait l'abattre ; aux yeux de l’Église s'en était hors de question et s'il il le faisait il serait abattu lui même... « Par pitié Urielle, lui renvoya la voix blasée de Guerren. Par pitié ne dites rien. » Elle rentra sa tête dans ses épaules et se tut. Elle serra les dents dans une grimace embarrassée qu'il ne pouvait pas percevoir. Une fois arrivés en bas l'homme lui retira les menottes en soupirant de lassitude. Il n'était pas tout à fait aussi grand qu'elle mais c'était un homme d'age honorable d'une belle et forte constitution. Il la regarda droit dans les yeux avec un recul froid et presque désintéressé. Il poussa un soupire désabusé et lui lança :
« Qu'est-ce que je peux bien faire de vous Urielle Wolf pour que vous vous guérissiez de cette vilaine habitude de vous jeter dans les causes perdues ? » La jeune femme d'à peine plus de vingt ans eut le même regard qu'ont les petites filles un peu pestes qui ont conscience d'avoir fait une grosse bêtise et cherchent à charmer leur papa pour ne pas être trop punies. Une sorte d'automatisme qui sortait d'on ne savait où. Évidemment, Urielle avait conscience que quand on a plus cinq ans, qu'on se bat au marteau de guerre et qu'on est une jeune femme de deux mètres pour environ quatre-vingt kilos de muscles c'est complètement grotesque... Guerren avait cette moue réprobatrice collée sur le visage qui sous un certain angle semblait presque parfois se changer en sourire amusé et tendre le temps d'un battement de cil. « Je le referai plus... » Cette phrase associée à la tête qu'elle faisait ajoutait au ridicule de la situation. Elle tenta un sourire gêné dans l'espoir de désamorcer une éventuelle déception chez le Commissaire qu'elle appréciait réellement. Celui-ci souffla d'un air désespéré en la regardant se débattre avec sa culpabilité.
« - Urielle, ne faites pas des promesses que vous ne pouvez pas tenir.
- J’essaierai de plus le refaire ! Vraiment ! Lança t-elle aussi sec, sincère et volontaire. Il secoua la tête à demi amusé et eut un rire muet.
- Oui sans aucun doute. Jusqu'à la prochaine injustice... » fit t-il d'un ton complètement désabusé.
Elle ouvrit la bouche pour s'en défendre mais il avait hélas raison. Elle était vraiment comme ça... Elle poussa un grognement ronchon. Elle plissa les yeux, il était évident qu'il avait raison. Elle se renfrogna, désolée de son attitude, atterrée de sa propre crédulité envers elle même. Croyait-elle vraiment qu'elle pourrait éviter ce genre de frasque définitivement ? Ils se dirigèrent en silence vers la sortie du castel, les autres soldats étant restés pour remettre en état les dégâts fait à l'étage. Au moment où ils s'écartèrent de l'entrée pour laisser passer un civière Urielle fronça les sourcils en se disant que les dégâts étaient sûrement beaucoup plus importants qu'elle ne le pensait et elle priait déjà pour que le Colonel passe la nuit et qu'il soit en vie au matin. Elle n'osait pas demander quelle serait sa punition pour ça, elle n'avait jamais -à sa connaissance- fait quelque chose d'aussi grave. Ils traversèrent la distance qui les séparaient des baraquement dans l'insupportable et insidieux froid glacial.


Elle racheta son acte de colère en creusant dès le lendemain les fausses communes pour les morts à même la terre gelée. Cela dura plusieurs jours et la peine fut rude mais méritée. Elle l’exécuta avec ferveur et loyauté. Au moins, même en creusant elle était utile. Elle chanta tout du long, prières et imprécations, autant que nécessaire pour continuer l'ouvrage avec courage et afin que l'Empereur accordent aux hommes qui reposeraient là, loin de leur famille et de leurs frères, la paix éternelle de l'âme à Ses côtés. Après avoir terminé de piocher dans la terre gelée, sous le vent et la neige, elle dut se rendre auprès du Doc pour y faire soigner les ampoules qui s'étaient formées sur ses mains à travers les gants épais, et les brûlures de froid sur son visage. C’est alors qu'elle apprit que la vie du Colonel n'était plus en danger. Mais les coups qu'elle lui avait portés laisseraient leurs marques indélébiles. La manière dont la mâchoire du pauvre homme avait éclaté sous les chocs lui garantissait des stigmates à vie. « Les équipements de campagne ne permettent pas de chirurgie si délicate». Avait lâché le Doc d'un ton distant et presque distrait alors qu'il tentait de ne pas ajouter au visage de la jeune femme des cicatrises supplémentaires. Elle avait douté à ce moment là qu'il ait pu bâclé le travail en aillant eu vent de l'horreur que le Colonel avait prononcé. Urielle chassa rapidement cette vilaine idée. Le Doc aurait soigné même le pire des hommes par foi en sa vocation, il aurait râler autant que sa moustache le lui aurait permit, il lui aurait fait la morale, mais il l'aurait bien soigné. Elle ne bronchait pas même si c'était douloureux. Les brûlures par le froid étaient sans aucun doute de son point de vue, bien pire que celles qu'avaient pu lui infliger les insolations sur Santinelle. Elle estimait ne pas être en droit de se plaindre. Le Doc marmonnait toujours quand il travaillait. « Il a de la chance, il pourra remâcher à peu près, d'ici quelque mois... » Empereur-Dieu ! Elle priait pour être pardonnée d'avoir infligé de sa propre main un châtiment pareil. Elle ne s'était jamais estimée en droit de juger et pourtant, le sort avait décidé que cet homme garderait la trace de cet événement toute sa vie. Etait-ce ainsi que l'Empereur punissaient les mauvais hommes ? Pouvait-elle avoir cette présomption ? « Avec une telle déviation des maxillaires, poursuivit-il toujours sur son ton étrange de mauvaise fée, il est évident qu'il gardera à vie un terrible défaut de prononciation qui lui donnera sans aucun doute l'air d'un demeuré quand il ouvrira la bouche. » Choquée et débordée de remords, Urielle tourna son regard vers l'ouverture qui servait de fenêtre et qui ressemblait d'avantage à une meurtrière. Il conclut enfin en retirant les lambeaux de peau de ses paume au ciseaux : « Espérons que la prochaine fois qu'il l'ouvrira ce ne sera pas dire une autre imbécillité... ». Elle ouvrit la bouche et des yeux hagards à entendre le dernier commentaires du Doc et resta figée de stupeur. Elle préféra se noyer dans la contemplation de l'étendue immaculée du sol au cieux qu'était l'extérieur et faire comme si elle n'avait rien entendu. Elle absoudrait plus tard le Doc pour cette mauvais pensée qu'il ne regrettait pas, mais tant pis, elle aurait des regrets pour lui. Une grande beauté émanait de ce paysage qu'elle trouvait mortuaire. Les vagues de flocons ondulaient sur l'effet du vent et le paysage en perpétuel changement lui rappelait -avec beaucoup d'imagination- le sable de Sentinelle. L'amnésique ne comprenait pas vraiment pourquoi cette odeur de silice lui manquait tant. Elle fixait les grandes dunes de poudreuse et laissait disparaître les baraquements et le castel dans le brouillard. Vue du ciel ce devait être une immense étendue blanche. Une fabuleuse sphère de verre sans imperfection aucune...


« Urielle... » Elle sursauta. La voix rauque et soufflée de Mithras encore sortie des ténèbres l'avait surprise comme toujours. Elle tourna la tête et se retrouva nez à nez avec les bottes de l'albinos qui était encore apparu de nulle part. Elle se redressa sur ses coudes et remonta la silhouette de cuir jusqu'à son visage pâle et son expression absente. « Mithras ! Tu n'arrives pas à dormir non plus, hein ? » lanca t-elle à son camarade silencieux qui la surplombait. Urielle de Vulpe décida enfin de lever son postérieur du parquet hors de prix et se faisant, elle se l’épousseta d'un geste réflexe. Son ami Mithras se contenta de répondre à la question par un haussement d'épaules et une légère moue. Elle sourit. « Cauchemar ? » S'enquérit le spectre sobrement mais avec un intérêt sincère de sa voix d'outre tombe. Il faisait des cauchemars récurrents lui aussi, tous en faisaient... Urielle étira ses muscles puissant pour détendre les engourdissements dans ses épaules. Seul l’Empereur savait combien de temps elle était restée là, perdue dans les rafales glacées de Valhalla et de sa mémoire. Son visage se fendit d'un large sourire serein. « Non, un souvenir. » répondit-elle à son ami noctambule. Il restèrent là en silence, à se considérer l'un l'autre durant un instant comme deux chiens qui se jaugent. Urielle éteignit le holoprojecteur d'un geste banal ne sachant pas vraiment si elle allait retourner se coucher auprès de sa douce ou si le sommeil l'avait définitivement fuit pour cette nuit. Naphilis avait pris l'habitude qu'elle disparaisse au milieu de la nuit et ne réapparaisse qu'au petit matin pour l'embrasser avant son petit-déjeuner. Elle perçut un bruissement de tissu léger dans son dos puis Mithras, de sa voix caverneuse, atone et toujours égale, proposa : « Régicide ? »