Book de KaliCréations : Joshua Alexander Starr :: Le valet de Cœur : Les fils d'Ariane

Les fils d'Ariane

Je sors de l'Infirmerie. J'ai encore embrouillé la pauvre Crystale. Je me suis vendu comme une prostituée y a trois jours pour accéder à la chambre de Killian. Les mains dans les poches, je remonte la coursive jusqu'à la cabine d'Ariane. Josh mon vieux t'es complètement cassé... Avec l'incident du pont 9.1 je rame. Déjà il y a quelques jours l'attaque Eldars Noirs m'a secoué, je ne faisais pas le fier. En bons spaciens, on le sait, il n'y pas trente milliard de raisons pour lesquelles on se fait éjecter du Warp en plein saut. Bayron n'a qu'à moitié apprécié la plaisanterie. Et quand vous entendez ces voix suppliantes vous promettre milles tortures et merveilles vous savez que c'est déjà trop tard et qu'ils sont trop près. J'avoue que même si j'ai géré la situation avec un calme exemplaire et que tout l’équipage était à ses pièces, je n'ai pas fais le malin sur le coup. Il faut dire que la mélodie que ces emplumés nous ont chantée m'a rappelé les croques-mitaines de mon enfance. Le premier -et le seul- raid auquel j'ai eu l'occasion d'assister s'est produit sur Noubangkok en sept-cent cinquante juste après les premières vagues d'immigration en provenance d'Ignasus. Ces salopes avaient suivit les vaisseaux de réfugiés et s'étaient dit qu'ils allaient se taper une after d’enfer ! Tout ça c'est la partie fun, cool and collected, c'est après que l'ambiance s'est un poil rafraîchie. Il faut se figurer que ces espèces de cinglés vous éperonnent comme des fléchettes. Ces petites salopes SM ont violé ma Betty avant de tenter de se rependre partout. La vrai bonne nouvelle c'est que les gars d'Otto ont vraiment fait un boulot nikel et m'ont nettoyé les couloirs rapido de cette putain de semence des dieux de la Ruine. La bonne nouvelle qui n'en est pas une, c'est que quelque chose à bord a fait flipper cette bande de dominas travesties, et c'était le machin enfermé sur le pont neuf ! Ces cons sont allés directement se planter dedans. C'est pas la poisse ça ? C'est un truc creapy enfermé par l'Inquisition y a quinze plombes sur ma Betty et c'est là que les autres empaffés vont jouer aux fléchettes faisant des piercings dans ma coque ! Et c'est super, ça mange l'esprit des gens, ça m'a tué dix gars et Kill et Trav' sont au bloc médical pour encore au moins quatre jours ! Quelle merde ! Le côté positif -oui, parce qu'il faut rester positif- c'est que maintenant on sait ce que c'est... Enfin je n'ose pas vraiment y croire de peur de me retrouver aussi superstitieux que ce vieux spectre de Flint. A l'écouter mon bâtiment est hanté. Celui là, il est au courant de toutes les histoires bizarres de l'Impéruim sauf de celle qui nous intéresse... En bref, si j'en crois les recoupements du « terminal noir », les infos que m'a filées Bayron et ce qu'ont vu Killian et Travis, on a une espèce de zombie invisible et son fantôme de petite sœur qui se sont approprié le pont neuf ! Je ne sais vraiment pas quoi faire. Je frissonne. Je m’arrête au milieu du couloir et je passe la main sur mon front. Je transpire, j'ai de la fièvre. En plus, je crois bien que je n'ai pas mangé aujourd'hui, j'ai oublié. Bon sang il fait froid ! Je déroule les manches de ma chemise que j'avais remontées. Je me ronge l'ongle de l'index. Je déteste être nerveux comme ça... Je ne peux pas m’empêcher de me dire qu'il y avait forcément un moyen d'éviter ce massacre, mais y a rien à faire je ne trouve pas lequel. Je continu de chercher. Je me sens minuscule et merdeux. Je passe la main dans mes cheveux et je rabats une mèche en arrière. La plupart dorment sur leurs deux oreilles à cette heure ci, moi j'ai encore des trucs à faire. Je me sens crade, j'ai horreur de ça... Je n'ai pas eu le temps de prendre une douche, ça m'agace. Je me gratte la nuque et j’essuie mon front. J'inspire profondément histoire de chasser un peu mes idées noires

Je me ronge les sangs pour Kill. Ce qu'ils ont vu leur a fait blanchir les cheveux, littéralement. Et pourtant ma Princesse en a vu des saloperies. Elle était terrorisée. Ma guerrière était terrorisée par cette chose et moi j'ai l'impression d'avoir le cul sur une poudrière, je me sens impuissant. En plus de ça, Crystale s'est mise en tête de la sevrer. Je suis mort de trouille. Je suis passé la voir tous les jours et j'ai du négocier comme un vieux chacal avec ma pauvre petite infirmière pour avoir le droit de visite. Je voulais juste lui tenir la main. Qu'elle sente que je suis là. Je crache une rognure d'ongle. Zut, je saigne. Ça m'apprendra à garder mes sales habitudes. Je sais qu'elle ne voulait pas que je la vois dans cet état, mais je ne pouvais pas la laisser toute seule face à ça. Combien de fois moi j'ai tenté d’arrêter ? Quand je suis malade à crever ou tellement en manque que j'ai l'impression que je vais claquer, c'est Killian qui me tient la main. Ça fait des jours que ne dors pas tellement je suis à cran, et je suis sûr que si je n'avais pas Opale, je tiendrais à peine debout... Je m’agrippe à la paroi pour ne pas tomber, j'ai un foutu vertige. Je suis complètement à la ramasse ce soir. Je suis naze, je me sens déprimé et j'encaisse pas cette histoire. En plus ils culpabilisent tous pour ce qu'il s'est passé. Manie culpabilise que je ne la laisse pas se faire siphonner comme une pile, Trav' culpabilise de ne pas avoir pu sauver ses mécanos. Kill culpabilise de ne pas avoir pu ramener ses gars, Otto culpabilise de se sentir impuissant et moi je culpabilise que toute cette bande de grox culpabilisent à ma place ! Je sais que Killian a peur, je sais qu'elle a mal. Je voudrais dormir près d'elle pour m'assurer qu'elle va bien. La serrer dans mes bras plutôt que de la voir sanglée à son lit pour ne pas qu'elle se mutile. Je voudrais claquer des doigts et faire disparaître de ses yeux le cauchemar qui s'y est imprimé. Je voudrais effacer toutes ces pulsions de mort en un tour de magie et virer mon passager fantôme à coup de pompes pour qu'il ne mange pas mes psykers, nom de dieu ! J'ai la responsabilité de cet équipage, j'ai la responsabilité de leur vie, de leur sécurité. Comment puis-je promettre à Manie qu'elle ne risque rien près de moi si je ne peux pas me débarrasser de ce foutu zombie ? Je crève de chaud. Je remonte mes manches de chemise. Foutue descente, je fais le yoyo. Je défais les premiers boutons de mon vêtement avant de mourir liquéfié part la chaleur. Ô Kill, tu me manques, je suis là, je suis juste là. Je suis responsable que ce qu'il leur est arrivé. Merde, je saigne encore du nez. Ça me gonfle. En plus j'ai une chemise blanche aujourd'hui.... Je n'ai qu'une envie c'est que cette saleté de journée se termine. Demain ça ira mieux. Je vais me foutre au pieu et je vais m'écrouler. Si bien sûr si je ne me farcie pas une de ces satanées insomnies... Je me dirige vers les toilettes du niveau. Je pousse l’interrupteur en entrant. Le néon m'envoie une décharge brûlante dans les yeux. J'ai l’impression que mes globes oculaires viennent de fondre. Non d'un pigeon de ruche, je suis bon pour une migraine moi. Je regarde ma tronche dans la glace. Bon sang, ce n’est vraiment pas heureux, je me suis connu plus frais. Restons positif, ma chemise n’est pas tâchée. Je tourne la molette du robinet d'eau froide. Les tuyaux tressautent et vibrent. Ce foutu vieux pirate de Flint a raison, la tuyauterie fait un sacré bordel en fait. Je ne fais même plus gaffe. Je me passe de l'eau froide sur la figure et je respire un grand coup. Envie de dégueuler. Je suis blanc comme un cul et mes yeux rouges de camé, ce n'est franchement pas glamour. Je m'assoie par terre dans un coin de la pièce histoire d'attendre que ça passe. J’éteins la lumière et je ferme les yeux. J'essaie de me ventiler un peu avec le col de ma chemise mais je meurs de chaud. J'attrape la serviette sur le coté et je m’essuie la gueule. Au bout de quelques minutes -dizaines ? Je crois que j'ai somnolé- je me lève. Les vertiges sont un peu passés. Je suis desséché ! J'ouvre de nouveau le robinet et je me penche pour boire. Je m'en fous partout évidemment... Je m'appuie sur le rebord de la vasque histoire de me détendre un peu. Ça ne marche pas des masses. Déjà, je devrais avoir un peu meilleur mine. Et puis sans la nausée, ça va tout de suite mieux, étonnant non ? Je reste là, figé face à mon reflet. Décidément je ne peux pas me saquer, il n'y a rien à faire... Magicien oui tu parles, de l’esbroufe ! Je suis bidon voilà tout. Bon allé, il faut que je m'occupe de la teinture pour Travis avant d'aller me coucher sinon je vais oublier ; et puis ça va me changer les idées de faire un truc futile au milieu de ce bordel. Je sors des sanitaires du pont des officiers, la chemise trempée mais la gueule un peu moins enfarinée. Direction chez Ariane. Une magnifique, plantureuse et coquette presque-trentenaire à la crinière corbeau qui doit cacher ses premiers cheveux blancs ; elle a forcément ce que je cherche. Je déteste me sentir vaseux comme ça, j'ai la sensation que le reste de l'univers tourne au ralenti par rapport à moi, ou l'inverse, je ne sais plus bien. Les néons me percent le crâne comme si Trav' m'attaquait au pistolet à rivets et j'en chie pour mettre un pied devant l'autre. J'ai l'impression que la piaule de mon officier de transmission se trouve à l'autre bout du vaisseau et ce n'est qu'à cinquante mètres. J'arrive devant sa porte. Je sors les mains de mes poches et je me redresse un peu pour ne pas avoir l'air désatomisé ET pouilleux... Je vais toquer à la porte. Je suspends mon geste à la dernière seconde. Si ça se trouve vu l'heure qu'il est, je tombe au milieu de son quart de repos ! Tu vas pas réveiller Ariane pour de la teinture au milieu de son quart de sommeil, gros débile ! Et puis il ne faudrait pas non plus que ça soit prit pour une « livraison spéciale ». Je fais gaffe avec elle. Je regarde mon horlogium. A priori je ne la dérangerai pas, elle vient de finir. Je frappe, quatre coups rapides, une vielle habitude.

Je m'appuie sur le mur et je me frotte les yeux. J'ai beaucoup parlé avec Killian ces derniers jours. Plus ça va plus je suis persuadé que les choses pourront reprendre leur cours un jour ou l'autre. Elle n’est pas prête à l'entendre mais ça viendra. Je suis toujours là. Je crois qu'on a avancé elle et moi. J'ai la gorge serrée malgré mon col qui est grand ouvert. Je sais bien que ce n'était pas le moment d'avoir cette conversation, dans l'infirmerie, sanglée à son lit d’hôpital... Mais voilà c'est sorti. Elle croit qu'elle me fait du mal en restant proche de moi, moi je sais que c’est quand elle « part » que ça me brise en menus morceaux... La pauvre, quand je lui ai dit, je pense bien que ça l'a achevée. Ce n'était pas le but. Je l'aime trop. Mais même si le moment était mal choisi je n'avais qu'une envie, c'était qu'elle me regarde, droit dans les yeux. Je la soûle quand lui répète que je veux l'épouser. Elle sait que mon ton de blagueur c'est de l'habillage. Je n'ai pas changé d'avis. Je suis tout à fait sérieux, même si aujourd'hui je ne suis plus foutu d'être constant. J'ai attendu douze ans, je peux supporter tout ce qu'elle me fera subir maintenant. Même la camarde ne m’empêchera pas de l'avoir dans la peau. Ça me crève le cœur à chaque fois qu'elle est froide. Ça me lacère les entrailles quand elle me massacre pour que je dégage. Je la déteste. Je suis fou d'elle. Je renifle et je frotte mes yeux qui sont un peu trop humides à mon goût... Bon sang, je ne vais pas chialer quand même ? Allé mon emmerdeuse, lève toi et bave moi une de tes vannes acerbes, celles où je me sens humilié, comme écrasé sous ta botte. Je n'aime pas ton sourire triste et abandonné, même si tu es complètement à moi dans ces moments là même si j'en profite car tu ne peux pas te défendre. Ariane ouvre la porte, je suis surpris dans ma réflexion sordide. J'ai le cœur au bord des yeux. Elle a été rapide. Je me redresse.
« - Bonsoir Trésor. Je tousse. Je lui souris. Un sourire las et fatigué. Elle rayonne et me répond avec un mouvement de tête qui fait voler ses longs cheveux noirs.
- Bonsoir, Lex. Son parfum s'enroule autour de tout mon corps. Je regarde mes pompes pour éviter que son décolté gourmand finisse de me tuer.
- Dis chérie, je passe parce qu'il me faut un truc spécifique et je pense que tu dois avoir. Elle s'écarte gracieusement de l'encadrement. Elle s’est fait les ongles. C'est joli.
- Entre. Le temps que je me dise que c'est piégeux, trop tard je suis déjà à l'intérieur et j'ai obtempéré sans m'en rendre compte. Ma parole, comment font-elles pour me diriger comme une marionnette ? J'ai vraiment l'impression que mon corps décide de me foutre sur le banc de touche dès qu'une jolie nana me sourit ! Ce que femme veut...
- Merci ma Belle . J’enchaîne : Je viens te voir pour t'emprunter de la teinture à cheveux. Maintenant que je formule ça à haute voix, ça ressemble à l'excuse bidon du gars qui cherche à tirer son coup... Pourquoi faut-il que ça tombe toujours sur moi ? Je fourre mes mains dans mes poches. Ça m’évitera de lui caresser les cheveux ou d'être trop tactile comme à mon habitude, histoire que je finisse de me mettre dans la merde. Je ne vais vraiment pas bien ce soir et c’est une connerie d'être venu ici. Je sais ce qu'elle veut et je ne peux pas le lui donner.
- Mais bien sûr ! Fait-elle d'une voix à se damner. Ça t'ira bien le brun... »
Son sourire est dévastateur. Bon sang, cette bouche... Je me sens suivre la ligne de sa nuque que je meurs d'envie de mordre, je dégringole le long de ses clavicules, je noie mon regard sur la fine dentelle bleue de son soutient-gorge qui dépasse savamment de sa chemise et dont je devine la continuité en transparence. D'un regard je déshabille ses hanches que je sens presque trembler sous mes doigts et... Oh putain ! Je ferme les yeux, je respire un grand coup. Non je ne ferai pas le crevard, je ne suis pas venu pour ça et Killian le prendrait super mal après la discution qu'on a eu tout à l'heure. Bon sang ! Je me masse les tempes et surtout je garde les yeux fermés. Dire un truc froid, de la distance : « C'est pas pour moi, je rends service à Travis. » Bravo mec, t'es un génie. Dans le genre gamin attardé dont le pantalon fait la fête tout seul t'es un champion Joshua ! Un vrai cheval de course... J'ouvre les yeux. Elle me dévore des siens, grandes perles vertes et brillantes. Faut que je m'assoie... Je me pose sur un des tabourets de bar du comptoir de la cuisine. C'est mignon chez elle, clair, léger, décoré avec goût. J'aime bien. Il y a son odeur de rêve partout, c’est un vrai supplice. Je croise les jambes et je m’appuie la tête entre les mains sur le plan de travail. Ma migraine n'arrange rien à mes « problèmes de concentration ». Sa voix chaude me susurre : « Tu veux un recaf, Lex ? Je te sens fatigué. Ça va te faire du bien. » A chaque fois qu'elle dit « Lex » avec ce ton là, je crois sentir sa langue qui glisse le long de mon... Non ! Je dois cesser de divaguer comme ça, ou ça va mal finir. D'ailleurs si je dis oui à cette saleté de recaf ça va mal finir ! Je crève de soif, j'ai mal la tête et j'ai très honnêtement grand besoin d'un grand recaf avec du sucre. Plein... Je redresse la tête, je la fixe bien droit dans les yeux et je lui fait un superbe sourire. « Avec grand plaisir. » Elle tressaille. Moi aussi. Je vois ses mains qui tremblent. Les miennes également, mais ça c'est la descente. Elle me sert une grande tasse d'un recaf réchauffé et archi sucré. Ça me va. Elle passe le bras par dessus mon épaule pour poser le récipient devant moi. Je sens ses cheveux glisser le long de ma nuque. Je vibre. Je sens son buste entier appuyé contre mon dos, son souffle juste derrière mon oreille. « Ça risque d'être un peu long, je dois chercher. » Me fait-elle avec son haleine chaude qui roule dans mon cou. Je coule. Je fixe le contenu noir de ma tasse en me tenant l’arrête du nez entre le pouce et l'index. J'inspire. Elle laisse traîner sa main fine et délicate le long du comptoir et elle disparaît vers sa salle de bain refermant la porte derrière elle. Je m'écroule sur la surface blême et je me frappe le front... J'ai le cerveau vide, les oreilles qui sifflent, la tête qui tourne. Il y a une odeur de parfum fauve et floral qui inonde la pièce et je n'arrive plus à penser. J'ai le nez dans ma tasse et j'ai du mal à respirer. Je me sens mal, je me sens fatigué, je me sens seul... Je voudrais me casser et rentrer me pieuter. J'essaie de redescendre mais mon corps n'en a rien à foutre. Je suis assis sur ce tabouret et j'ai l'impression que si j'en descends mes jambes ne vont pas me porter. Je me prends les tempes entre les paumes. Je regarde mon reflet, sombre, à la surface du goudron caféiné comme si je pouvais extraire ma propre culpabilité de mon crâne par l'intermédiaire de ce double inversé... Je me masse les tempes. Je respire les effluves d'alcool et de fleur à plein poumons comme une bouteille d'oxygène. Je me sens étourdis, je tremble. C'est comme si j'étais à la fois excité comme un fou et vidé de toute substance. Je bois une longue gorgée de recaf, ça me fait du bien, en effet. Le goût sucré et amer du liquide chaud qui coule dans ma gorge est à l'image de mon état. J'entends la porte de la pièce d'eau s'ouvrir lentement. Je meurs de chaud. Je prends ma volonté fuyante comme un savon à deux mains, je lui colle virtuellement un grand coup de batte et je me dis : Josh mon p'tit père tu récupère cette foutue teinture et tu t'arrache ! « J'ai trouvé ! » fait la féline Ariane, ses délicieux petits pieds nus à pas de chat sur le linoleum. Cette mélodie cristalline me fait lever la tête de ma tasse et de mes conjectures narcissiques. Bien sûr elle s'est recoiffée, bien sûr elle s'est remaquillée. Elle a défait un ou deux bouton de plus de son chemisiers et a remis du rouge à lèvre. Je devine sur l’étoffe de ses dessous bleus pâles aux bretelles indisciplinées, une treille de broderies fleuries. Je pense à trente-mille choses en même temps : Je pense aux xénos, je pense à Otto et ses gars, je pense au croque-mitaines du pont 9.1, je pense à Travis, à Manie et son petit corps délicieux, à Killian, je regarde Ariane... Je m'aperçois que j'ai la bouche ouverte. Je la ferme et je passe ma main dans mes cheveux. Je rabats une mèche en arrière et je me frotte le visage avec les deux mains en maîtrisant ma respiration. Elle se verse une tasse et s'assoie en face de moi. Je me fixe à la surface de mon recaf, sale tête de con. Elle prend ma main, doucement, avec hésitation. Je me mords la lèvre, j'adore ses grands yeux verts, j'adore comme elle me regarde, c’est un miroir qui me plaît. Je me sens absorbé. J'aime l'image de moi qu'elle prend pour une réalité et qu'elle me renvoit. Ariane me sourit tendrement et me caresse le bras :
« - Oh, tu ne vas pas bien toi. » Non, je ne vais pas bien ! Josh, rallume le cerveau nom de dieu ! Je lui répond d'un soupir en haussant des épaules. Tu veux en parler ? Ça te ferait du bien. Elle penche la tête de cette façon si particulière qui fait retomber sa chevelure abondante sur sa poitrine dorée. Je secoue la tête par la négative.
- Non, merci... Si... Ou pas... Je... Je souffle, j'ai l'impression de crouler sous ma connerie aujourd'hui et pour clôturer l'affaire je me suis piégé comme un con, tout seul. Finalement je me dis que ça peut me faire du bien de lui parler. Je l'aime bien et je crois que ça me plairait d'avoir une amie. Non c’est rien ma Belle, j'ai passé une journée difficile et je suis naze. Elle m'écoute en sirotant sa boisson fumante, captivée. Elle a planté ses yeux dans les miens et elle ne les lâche pas. La semaine est longue c'est tout Trésor. Avec cette attaque j'ai été pas mal secoué. Et puis y a eu un accident avec des gars sur la réparation dehors. Je digère pas. Y a Killian et Travis au bloc médical, je me fais pas mal de soucis. Je suis tendu, stressé. » En effet, ça me fait du bien. Je lui souris mais le cœur n'y est pas. J'ai envie de Kill... J'ai envie de tout balancer, de lui parler de la chose monstrueuse que m'a décrite ma Princesse, de lui raconter mon enfance, ma vie, mes histoires de cœur, mes histoires de cul. J'ai envie de lui vomir tout le poids que j'ai sur les épaules dessus, qu'elle prenne tout puisqu'elle le veut ! Mes affaires de gang, mes accès de violence, la drogue, la fièvre qui parcours mon corps quand Killian est près de moi, l’obsession qui coule dans mes veines pour la jeune Manie... Je me renfrogne. Je suis un connard égoïste. Je fais carrément la gueule même. J'ai mal à l'estomac. Je pose ma main droite sur mes yeux en m'appuyant sur mon coude. Je souffle, je ne dis plus rien. Elle pince les lèvres en arrondissant les yeux de l'air le plus charmant et compatissant du monde. Je transpire. Je me noie dans ma tasse de recaf. Elle passe une langue voluptueuse sur ses lèvres et je sens ses ongles se crisper légèrement sur ma main gauche. Elle se lève. Je pense à Killian dans son lit au bloc médical et je me dis que si je n'avais pas tenté de fuir ma culpabilité comme un vieux rat de cale je ne serais pas venu là pour m'occuper de cette teinture débile. Et si je n'avais pas cherché à récupérer cette foutue teinture et bien je ne serais pas là avec une Ariane qui m'allume au lance-flamme, une Manie qui m'obsède et une Killian qui m'habite. Les pattes d'Ariane courent sur mes épaules comme deux araignées. Je me raidis en tressaillant. D'abord je panique ! Je lance précipitamment : « Je finis mon recaf et j'y vais. ». La simple pression de ses doigts sur les muscles de mes trapèzes crispés m'engourdis complètement, comme si elle avait injecté dans tout mon corps un mystérieux venin. J'inspire profondément au moment où elle glissent ses griffes à l’intérieur de mon col. Je ne peux plus fuir. Elle a les mains fraîches et douces. C'est agréable. Elle sent bon, j'aime beaucoup son shampoing. Je sens sa poitrine s'appuyer le long de mon dos et ses doigts agiles descendent vers mon cœur comme deux insectes carnassiers. Elle souffle au creux de mon oreille « Détends toi, Lex, ça va passer. » Ça aussi ça me fait du bien. Est-ce que je suis vraiment un salaud si je profite d'un moment de tendresse ? Misère ! Je prise le parfum de ses cheveux qui coulent près de mon visage. Je me répète que je dois lever mon cul de cette chaise, que je dois rentrer chez moi, que... Bon sang ses caresses ! J'ai l'impression d'être une mouche qui se débat sans succès dans cette toile arachnide. Ses paumes glissent sur mes pectoraux. Je soupire bruyamment sans m'en apercevoir et je sens ses mandibules qui humidifient ma nuque dans un baiser langoureux. J'ouvre les yeux et l'espace d'un instant je vois Killian dans mon esprit qui file comme du sable au vent. L'araignée Ariane ceinture mon corps avec ses pattes qui m'apparaissent multiples. Je suis prisonnier. Je me lève et je la saisis par les hanches. Elle est brûlante. Elle s'ébranle comme si elle grelottait de froid. Comme si c'était le moment qu'elle avait attendu toute une vie. Elle y croit. Elle m'agrippe, une de ses mains derrière ma tête. Elle rapproche son visage du mien les yeux grands ouverts. Ses émeraudes me happent, j'essaie de me débattre mais j'étouffe, je me noie, je supplie qu'on vienne à mon secours. Je suis un moustique, un misérable suceur de sang qui se retrouve enroulé dans la toile de cette fileuse cruelle. Elle me mange la tête, je ne peux plus penser à rien. Un long silence se glisse alors que son visage se peint d'une teinte grave. Je sens son cœur battre sous ma main cajoleuse alors que je caresse sa poitrine. Il est rapide, inquiet. Elle entrouvre les lèvres dans une expression fascinée de petite fille qui observe un magicien. Une voix étrangement fluette quitte son corps : « Lex... Dit-elle. Je connais cette voix, je connais ce regard, je l'ai vu des centaines de fois. Je l'ai esquivé des centaines de fois ! Lex, je dois te dire... Tu sais, je t'... ». Je l'embrasse. Je remplie sa bouche pour qu'elle ne s'en veuille pas demain d'avoir prononcé l'irréparable. Pour m'éviter de m'en vouloir demain d'avoir accepté de l'entendre et d'avoir triché. Mes mains se faufilent dans son dos, sous sa chemise pour goutter la soie de sa peau. Elle ferme les yeux, renverse sa tête en arrière alors que ma main fuit sur sa croupe. Quand ma langue la libère enfin elle échappe une longue exhalation au parfum de caféine. Je recule et je lui sourit.

Ses yeux se voilent d'excitation. L'araignée trop impatiente vient de perdre sa proie, et celle-ci s'est retournée contre elle. J'ai déjà cette morsure sur la conscience avant même qu'elle n'en saisisse la douleur. Demain... Elle se jette sur moi ! Mon dos percute brutalement le comptoir. J’étouffe un gémissement. J'ai mal. Oui mon araignée, punie moi, brise moi les reins ! Ariane m'embrasse à nouveau, avec avidité cette fois. Elle me mord la lèvre inférieure. Le goût du sang envahie ma bouche. J'aime ça. Je la capture, mes deux mains sous ses fesses arrondies, et je la soulève. Je sens ses doigts se glisser dans mes cheveux, elle saisit ma tignasse et s'y amarre de toutes ses forces. Je goûte sa peau caramel. Elle a la saveur du miel, du café et de la vanille. La belle brune affermie sa prise de ses jambes autour de ma taille. Je me sens asphyxié. La fébrilité nous transporte jusqu'à son nid, et sa poigne me bascule sur le lit profond. Je la sens plonger dans une fièvre frénétique qui consume tout son corps au moindre contact. Me voici épinglé à sa couche comme un vulgaire papillon de collection. Son poison me paralyse. Elle ploie sur moi. Je caresse l'ébauche de ses bas pendant que ses pinces font sauter un à un les boutons de ma chemise. La morsure de ses caresses est douloureuse. Du bout du doigts je remonte le nylon de ses cuisses. Je me lèche les babines pendant que mes yeux font le même chemin. Je saute la frontière qui sépare l’élégant tissus de la soie de sa peau. Sur mon passage sa chair se constelle de frémissements. Je grimpe encore, ascension gourmande vers son intimité. Je m'y insinue sournoisement. Soudain ses griffes s'enfoncent dans ma poitrine. Elle me fait mal ! Je serre les dents et laisse échapper un gémissement aiguë et nasillard. J'aime ça... Elle renverse sa tête en arrière puis elle cherche à me débarrasser de la bande de cuir qui retient mon pantalon. Je m'attaque donc à ce qui emprisonne le haut de son corps couleur d'or. Je ferme les yeux, toujours allongé sur le dos pour fuir les longs insectes fantastiques qui dansent au plafond alors que, scorpion, je me bats avec une mygale qui s'ignore. Le tissu de son chemisier s'enfuit le long de ses épaules brunes emportant avec lui les fines bretelles de dentelle bleue. Elle finit de m'alléger du moindre vêtement alors que je me redresse pour mordre la chair de son cœur. Je suis aussitôt repoussé avec force. Je manque de me cogner à la tête du lit. Je découvre là ce qui se cache sous le masque de chaton de la douce Ariane... Je suis débordé par ses caresses à tel point qu'il me semble ne plus pouvoir compter ses membres. Elle rampe et se faufile partout ! Elle se lance un challenge. Elle veux devenir ma muse sans connaître le feu qui hante mon âme. Ma dépendance... Elle comprime mon bassin avec ses pattes puissantes et articulées, je me bande comme un arc. Aïe ! La harpie creuse des sillons violents avec ses ongles affamés tout le long de mon torse ! J'adore ça mais je saisis ses mains avec fermeté, je ne porterai pas sa marque. Je maîtrise mon araignée avec une relative facilité et je la roule sous moi sans ménagement. Je lui impose mon poids sur elle. Elle me fixe un peu surprise que j'use de cette puissance virile contre elle, ses poignets menottés entre mes mains. Un froid transpire au milieux de la frénésie. Ça m'excite. Elle ne s'aperçoit que maintenant qu'elle invite un prédateur dans son lit et que le dard venimeux braqué sur elle égale de loin sa morsure. Elle ne cherche pas à se débattre mais la tension dans ses yeux ne souffre aucune équivoque. Mon visage descend sur elle et je plante des crocs amers dans sa gorge. Elle gémit doucement, les yeux mouillés. Je sens son corps se raidir alors qu'un réflexe lui injoncte de refermer ses jambes à mon étreinte. « Lex... Joshua ne me fais pas mal... S'il-te-plait. ». La supplique est humide, Ariane tremble. Elle fixe mon regard avec une expression de frayeur glacée. Sa peur fais gonfler mes ardeurs d’autant plus. Je lève les yeux vers le grand miroir en face de moi au dessus de la tête du lit. Mon reflet diabolique qui me nargue avec son sourire carnassier. Je jette un coup d’œil à ses petits doigts presque devenus bleus sous la force que j'imprime à ses poignets. Je ne me suis pas aperçut que mon âme m'avait si vite quitté. Je chasse le monstre ! J'en veux à Ariane de m'avoir détourné mais elle n'a pas mérité ma cruauté. Je relâche la pression de mes doigts sur ses mains délicates. Je caresse doucement sa joue, plonge dans ses yeux verts au bord des larmes. Je change de visage, je remets pour elle mon masque d'ange. Je frôle son menton, sa gorge, glisse mes griffes doucement au creux de son cœur. Je passe derrière son dos et la libère du carcan de soie azur. Elle inspire profondément, tendue et ferme les yeux, inquiète. Je retiens les serres de ma patte. Je lui dépose un baiser sur le front. Ses sourcils se détendent, elle se relâche un peu. Je lui souffle à l'oreille : « Je te ferai pas de mal Ariane. C'est promis Chérie » Je mens. Elle aura mal demain. Pour l'heure elle ne l'a pas compris, elle n'envisage pas que je ne reste pas. Je l'embrasse tendrement comme si c'était l'amour de ma vie, encore un mensonge que mon corps maîtrise à merveille. Je couvre sa peau de toutes mes attentions. Elle s’épanouit d'un coup se déployant comme les pétales d'une fleur. Cette nuit je l'aime elle. Demain, je retournerai aux pieds de ma maîtresse à qui j'appartiens

Ma respiration est profonde et détendue. Je me réveille dans une pile d’oreillers moelleux et blancs. J'attrape le coussin qui gît sur la place vide à côté de moi et je l'enlace. Je prise le parfum de la femme qui a partagé ma nuit. Le draps sur ma taille est soyeux, frais et agréable. Le parfum de vanille qui baigne la couche, mêlé aux odeurs fauves de nos ébats, me donnent des idées libidineuses. La place à mon côté est déserte. J'ouvre les yeux sur une pièce à la lumière tamisée. Je roule dans l'étoffe et je me trouve nez à nez avec la délicieuse petite culotte de dentelle bleue ciel, accrochée sur la tête du lit. Je souris. J'attrape le sous-vêtement de soie du bout des doigts. Je respire ses effluves, je me sens soudain attisé. Je plie délicatement le slip en toile fine et je le dépose sur le rebord de la table de nuit. Je me laisse retomber dans l'épaisseur des oreillers avec un large sourire satisfait et un soupir d'aise. Hier soir elle était magnifique, ce matin je suis de bonne humeur et j'ai bien dormi. Je m'étire comme un chat, je geins de plaisir, je ronronne alors que son parfum qui imprègne les draps électrise mes élans. Je m'apprête à appeler Ariane quand je me rends compte que ce n'est pas le roulis continu de la douche que j'entends mais bien un son qui crépite depuis la kitchenette. Moi qui envisageais une douche encanaillée me voici bien refroidi. Je déteste quand elles me font le petit-déjeuné. Je tire la tronche... Je m'assoie au bord du lit la libido désormais en berne. Je lâche un soupir coupable et je me lève. Je récupère ma chemise qui gisait là comme une dépouille macabre, je la tapote pour la défroisser un peu. Je contourne le lit et je récolte les vêtements d'Ariane, vestiges de la lutte de la veille. Je pose sa jupe délicatement sur le fauteuil, de même pour son chemisier. Je roule doucement ses bas prenant garde à ne pas les filer et il rejoignent le reste de ces reliques. Je remets mon caleçon en tendant l'oreille pour m'assurer qu'elle est toujours occupée. Je rabats les drap sur le lit délaissé et je lisse doucement l'édredon. Je saute dans mon pantalon et je me retrouve face au miroir. J'ai déconné. Je ne voulais pas déconner avec elle. Ce n'est pas juste une minette que je largue sur une planète en touriste : non seulement on se voit tous les jours, mais en plus et surtout, elle a de véritables sentiments pour moi. Enfin je crois... Mon âme est en hypothèque mon Trésor, je ne peux pas te la donner. Je fixe la silhouette familière dans le miroir qui me regarde en souriant. Ma peau de monstre sur le dos, je ne suis pas fier. Le vampire enfermé derrière la surface de verre lisse ricane de s'être délecté d'une nouvelle victime. Je crains cette fois d'avoir fait naître une autre bête. Je passe mes bras dans ma chemise et rabats mon col sur ma nuque. Je me sens merdeux... Je ne regrette pas la nuit délicieuse que j'ai passé avec cette femme délicieuse, mais hélas le venin est maintenant dans ses veines. J'inspire profondément pour me donner l'abominable courage de lui ouvrir le cœur. Je boutonne ma chemise doucement puis je me penche pour remettre mes bottes. La chambre me semble terriblement silencieuse. La chape de plomb au dessus de ma tête pèse lourd, j'ai mal au crâne. J'entends Ariane qui chantonne l'air d'un de mes morceaux. Celui qui parle de la femme de ma vie... Putain ça fait mal. Elle est heureuse, moi je pense à Killian que j'ai hâte de rejoindre. Je sors de la chambre, habillé, je traverse le couloir clair et je tombe sur ma mygale, comme amputée de quelque chose. C'est le morceaux d'âme que je lui ai vampirisée hier. Elle est belle. Quand elle m'entend elle se retourne, elle m'accueille d'un sourire radieux une spatule à la main. Elle me regarde comme si je venais de l'épouser la veille, les yeux pleins de rêves. Je fais rouler dans mes doigts l'anneau qui pend à mon coup. Je n'ose pas croiser son regard. J'aurais préféré qu'elle me condamne. Je me sens criminel alors que l'odeur sucrée des pan-cakes qui cuisent commence à envahir l'espace d'un parfum de caramel. Elle s'approche à pas de chat dans sa nuisette en satin couleur saphir. Je devine son corps généreux à travers le tissu ajouré. Je lâche précipitamment « J'y vais. » pour briser son élan comme une étrave à travers la banquise. Elle se fige, déçue, et je vois passer un voile d'ombre dans les émeraudes de ses yeux. Elle s’arrête à quelques centimètres de moi, je continue à me diriger doucement vers la porte. Elle attrape mon bras et stoppe ma trajectoire.
« - Tu ne restes pas pour le petit-déjeuné ? L’interrogation cache un souhait profond qui se voulait impératif, mais qui n'ose pas s'assumer. Je la fixe, désolé, cherchant une manière de lui faire comprendre que je n'ai jamais compté m'attarder. Je lui dépose un minuscule baiser sur le front. Je mens :
- Je n'ai pas faim Trésor. Son visage se pince de déception. Excuse moi, je ne savais pas que tu t'étais donné du mal. Elle me colle et m'enlace comme si j'étais « son homme » et me sourit. Me voilà pardonné, gratuitement ; absout pour mon crime alors que je m'arrache déjà les chairs à coup de fouet de lui faire mal.
- Prend au moins un recaf ! Ses yeux brillent du plaisir anticipé de commencer sa journée en ma compagnie, de prendre soin de moi... Elle n'a pas compris ce qu'il se passe. Je fais mine de vérifier mon horlogium d'un air faussement contrit.
- Je suis en retard ma Belle... »
J'attrape la boite de teinture abandonnée là depuis la veille. J'écarte doucement Ariane et je reprends ma course. Elle ouvre la bouche pour dire quelque chose mais au lieu de cela, elle fronce les sourcils d'un air pessimiste. Elle vient de saisir, mais elle veut croire au conte de fée que je lui ai raconté. Elle aime le masque de l'ange, elle croit au langage de mon corps et de ma voix qui mentent. Je l'ai aimée sincèrement cette nuit, mais le tour de passe-passe s’arrête là pour moi. Oui, maintenant elle sait qu'elle va avoir mal. Je soupire tristement, je n'ai jamais eu l'intention de la blesser. Je quitte sa cabine sans me retourner, je la laisse là, je l'abandonne. Je sens des aiguilles percer mon dos quand sa petite voix mes lance désespérément « A tout à l'heure ! » espérant un mot tendre. Je fuis, je ne supporte pas la profondeur de la désillusion. Je lui répond en m'éloignant « A plus tard. » sur un ton gelé en espérant qu'en la revoyant sur la passerelle elle serait malheureuse et elle me détesterait.

Je remonte le couloir en me flagellant, pauvre con que je suis, d'avoir été si faible et de l'avoir sacrifiée par égoïsme. Je me rends à ma cabine en priant la chance pour qu'elle ait compris que je ne reviendrai pas. Hélas je sais comment ça va se passer : elle sera en retard là haut, elle sera radieuse et rayonnante, et elle aura tôt fait de raconter son aventure nocturne avec le charmant capitaine Joshua Alexander Starr... Moi, je ferai comme d'habitude, comme s'il ne s'était jamais rien produit et j'aurai tellement honte de m'être comporté en tel connard que je n'oserai même pas croiser son regard. Je fuirai masqué et au final on se retrouvera coincés tout les deux à un moment ou à un autre parce que je n'aurai pas pu l'éviter éternellement. Je trouverai un discours bidon et réchauffé qui aura l'air tout à fait sincère pour lui éviter le maximum de douleur et d’humiliation. J'arriverais peut-être même à feindre les larmes. Là elle aura mal... Je souffle traînant les pieds vers chez moi. J'entre dans cet univers factice et trop bien rangé. Je pose la teinture, objet de la catastrophe, sur le plan de travail de ma cuisine. Je vire mes bottes et je me dirige vers ma piaule. Mon lit est toujours défait, il y a du laisser aller... Je me plante devant absorbé par ma propre culpabilité mêlée à la satisfaction du festin. J'ai l'odeur d'Ariane sur moi, partout. Elle est sur mes vêtements, elle est dans mes cheveux, sur ma peau. Elle m'a aspergé, recouvert, noyé en m'enroulant dans sa toile. J'enlève ma chemise. Mon plumard en bordel m'obsède. Combien de jours cela fait-il que je n'ai pas fait mon lit ? Je ne sais plus. Je vire mes fringues qui sentent les îles exotiques de synthèse au panier avant qu'elles ne contaminent mon territoire. Ça m'énerve, il faut que je fasse ce lit... En calbute au milieu de la pièce j'attrape rageusement un coin des draps et je les rabats vivement. Les plis du couvre-lit écarlate me narguent comme autant de bouches sardoniques. Je tremble, je sens mes doigts fourmiller et une chaleur glauque m'envahir... J'agrippe le tout avec violence et je tire de toutes mes forces, arrachant à mon lit ses entrailles vermillons ! Je laisse le matelas nu, sans artifices, aussi blanc que des os. Ma respiration est oppressée, saccadée. Je me tiens debout, le tête baissée comme un prédateur contrarié, les bras le long du corps, les phalanges tendues. Je me calme... Un peu livide, je prends le chemin de ma salle d'eau et me retrouve face à la fenêtre sur mon âme qu'est le miroir au dessus du lavabo, le seul miroir que contient ma cabine. Je fixe mon reflet quasi absent dans la pénombre. Je me regarde droit dans les yeux. Je m'invective en silence, je suis mon propre inquisiteur, mon bourreau, je me mets au supplice. L'idée fixe de ma chambre en vrac m'accapare. Ça me frustre. Je pose mes deux mains sur le bord du lavabo. Ma peau est imprégnée de l'odeur de vanille des cheveux de ma belle brune. Je regarde ma poitrine où je craignais qu'elle ait laissé les empruntes de ces mandibules acides. Un vague sillon un peu rouge fend la carte sur mon cœur, il aura tôt fait de disparaître. Mon esprit s'enroule dans les drap sales qui gisent derrière mon dos sur le sol de ma chambre. La masse informe me guette et rit de moi... Je suis cinglé ! Je ne pourrais jamais aller me laver avant d 'avoir réglé ce problème ! Je grince des dents et je fais demi tour vers le cadavre dormant que j'ai laissé. Je ramasse le charnier de tissu et le bourre rageusement dans le bac à linge sale. J'ouvre mon placard et j'en tire rapidement et avec hargne des étoffes propres ! Consciencieux et fébrile, je refais le lit, toujours dans le même ordre : draps housse, la couette dans son linceul, puis les oreillers. Je lisse le rabat, bien égal des deux côtés. Je peux enfin aller prendre ma foutue douche ! Je suis complètement fou...

L'eau est chaude, ça me fait du bien. Je passe mes mains dans mes cheveux, la tête sous le jet. Centimètre par centimètre je retire Ariane de mon épiderme. Je dois être opérationnel, je dois être net... Pas d'Opale aujourd'hui. C'est aussi par respect pour Killian que je ne vais passer voir, je ne peux pas être défoncé alors qu'elle en chie pour son sevrage aux stim's. La vapeur de l'eau brûlante envahie le bac de la douche et déborde dans la pièce comme un brouillard épais. Je fais peau neuve. Je desquame et je laisse ma mue de scorpion s'évacuer... Après plusieurs longues minutes je m'extirpe enfin de la brume humide. J'attrape la serviette éponge épaisse et je l'enroule autour de ma taille. Je me sèche les cheveux devant la glace. Si Killian me voyait elle me ferait une remarque taquine sur ma coquetterie. J'ai toujours soigné mon apparence. Rapidement, je m'habille et je me dirige vers ma cuisine pour m'y faire un recaf. Je prend le temps, de toute manière je ne suis pas pressé d'arriver sur la passerelle, et j'ai encore Travis et Killian à voir. Tant pis, Otto tiendra la barre le temps que j'arrive. J'écoute la cafetière passer le recaf bruyamment, on dirait la foutue tuyauterie de Flint. Il faut que j'en touche trois mots à Travis. Je colle une quantité de sucre démentielle dans ma tasse et j'avale le contenu sirupeux très vite. Je dépose le récipient au fond de mon évier et je le nettoie immédiatement avant de le mettre à égoutter sur le côté. Je récupère la teinture et le lecteur de cristaux de Killian que j'avais laissé là la veille avec l'intention de lui apporter. Un peu de musique lui fera du bien, elle doit se ronger d'ennui emprisonnée par Crystale. Je verrouille ma cabine après l’avoir quittée et je prend la direction du bloc médical des Officiers. Je sifflote un air de ma composition. Il parle de Betty et de voyages. Je frappe avant d'entrer et je pousse la porte sans attendre de réponse. Crystale, toujours de bonne humeur me salut, je lui fait une bise. Je la sens rougir mais je ne relève pas. Je lui fais un compliment sur sa coiffure, elle rayonne, un peu gênée. Je file tout droit vers les chambres individuelles. D'abord celle de Trav'. Puis je me rends dans la chambre de Killian. Elle somnole. Je frappe doucement pour lui signaler ma présence. Elle ouvre un œil et elle sourit sous ses mèches blondes peroxydées. « Salut toi... Kill. » J'ai encore failli l’appeler Princesse. Je fais en sorte que cela ne m'échappe pas. Même dans cet état je la trouve jolie. J'ai l'impression que ma présence apporte un peu de lumière dans ses yeux. Je m'assoie près d'elle, sur un minuscule et inconfortable tabouret et je lui prends doucement la main. Mes doigts caressent les siens, chauds et de chair et je fais mine comme toujours d'ignorer ce bras gauche inerte et fait de métal. « Je t'ai apporté ton lecteur, je me suis dis que l'attente serait plus douce avec un peu de musique. » Elle sourit de plus belle. Je vais rester un moment, je serai très en retard. Je m'en fiche, je ne suis pas pressé de me rendre à la passerelle...